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aventures

semble, et terminait ce monument primitif qui devait être un autel africain.

Les deux jeunes astronomes et sir John Murray voulurent visiter cette bizarre construction. Par une des pentes du monticule, ils s’élevèrent jusqu’au plateau supérieur. Le bushman les accompagnait.

Les visiteurs n’étaient plus qu’à vingt pas du dolmen, quand un homme, jusqu’alors abrité derrière l’une des pierres de la base, apparut un instant ; puis, descendant le monticule et roulant pour ainsi dire sur lui-même, il se déroba rapidement sous un épais taillis que le feu avait respecté.

Le bushman ne vit cet homme qu’un instant, mais cet instant lui suffit à le reconnaître.

« Un Makololo ! » s’écria-t-il, et il se précipita sur les traces du fugitif.

Sir John Murray, entraîné par ses instincts, suivit son ami le chasseur. Tous les deux battirent le bois sans apercevoir l’indigène. Celui-ci avait gagné la forêt dont il connaissait les moindres sentiers, et le plus habile dépisteur n’aurait pu le rejoindre.

Le colonel Everest, dès qu’il fut instruit de l’incident, manda le bushman et l’interrogea à ce sujet. Quel était cet indigène ? que faisait-il en cet endroit ? Pourquoi, lui, s’était-il jeté sur les traces du fugitif ?

« C’est un Makololo, colonel, répondit Mokoum, un indigène des tribus du nord qui hantent les affluents du Zambèse. C’est un ennemi, non seulement de nos Bochjesmen, mais un pillard redouté de tout voyageur qui se hasarde dans le centre de l’Afrique australe. Cet homme nous épiait, et nous aurons peut-être lieu de regretter de n’avoir pu nous emparer de sa personne.

— Mais, bushman, reprit le colonel Everest, qu’avons-nous à redouter d’une bande de ces voleurs ? Ne sommes-nous pas en nombre suffisant pour résister ?

— En ce moment, oui, répliqua le bushman, mais ces tribus pillardes se rencontrent plus fréquemment dans le nord, et là, il est difficile de leur échapper. Si ce Makololo est un espion, — ce qui ne me semble pas douteux, — il ne manquera pas de jeter quelques centaines de pillards sur notre route, et quand ils y seront, colonel, je ne donnerai pas un farthing de tous vos triangles ! »

Le colonel Everest fut très contrarié de cette rencontre. Il savait que le bushman n’était point homme à exagérer le danger, et qu’il fallait tenir compte de ses observations. Les intentions de l’indigène ne pouvaient être que suspectes. Son apparition subite, sa fuite immédiate démontraient qu’il venait d’être pris en flagrant délit d’espionnage. Il paraissait donc impossible que la présence de la commission anglo-russe ne fût pas promp-