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de trois russes et de trois anglais

— Oui ! je le répète, sir John. Avant demain, le colonel Everest et monsieur Strux n’auront plus aucun sujet de se disputer, si le vent est favorable.

— Que voulez-vous dire, Mokoum ?

— Je m’entends, sir John.

— Eh bien, faites cela, Mokoum ! Vous aurez bien mérité de l’Europe savante, et votre nom sera consigné aux annales de la science !

— C’est beaucoup d’honneur pour moi, sir John, » répondit le bushman, et sans doute, ruminant son projet, il n’ajouta plus un mot.

Sir John respecta ce mutisme et ne demanda aucune explication au bushman. Mais véritablement, il ne pouvait deviner par quel moyen son compagnon prétendait accorder les deux entêtés qui compromettaient si ridiculement le succès de l’entreprise.

Les chasseurs rentrèrent au campement vers cinq heures du soir. La question n’avait pas fait un pas, et même la situation respective du Russe et de l’Anglais s’était envenimée. L’intervention, souvent répétée, de Michel Zorn et de William Emery n’avait amené aucun résultat. Des interpellations personnelles, échangées à plusieurs reprises entre les deux rivaux, des insinuations regrettables, formulées de part et d’autre, rendaient maintenant tout rapprochement impossible. On pouvait même craindre que la querelle, ainsi montée de ton, n’allât jusqu’à une provocation. L’avenir de la triangulation était donc jusqu’à un certain point compromis, à moins que chacun de ces savants ne la continuât isolément et pour son propre compte. Mais dans ce cas, une séparation immédiate s’en fut suivie, et cette perspective attristait surtout les deux jeunes gens, si habitués l’un à l’autre, si intimement liés par une sympathie réciproque.

Sir John comprit ce qui se passait en eux. Il devina bien la cause de leur tristesse. Peut-être eût-il pu les rassurer en leur rapportant les paroles du bushman ; mais, quelque confiance qu’il eût en ce dernier, il ne voulait pas causer une fausse joie à ses jeunes amis, et il résolut d’attendre jusqu’au lendemain l’accomplissement des promesses du chasseur.

Celui-ci, pendant la soirée, ne changea rien à ses occupations habituelles. Il organisa la garde du campement ainsi qu’il avait l’habitude de le faire. Il surveilla la disposition des chariots, et prit toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de la caravane.

Sir John dut croire que le chasseur avait oublié sa promesse. Avant d’aller prendre quelque repos, il voulut au moins tâter le colonel Everest sur le compte de l’astronome russe. Le colonel se montra inébranlable, entier dans ses droits, ajoutant qu’au cas où Mathieu Strux ne se rendrait