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de trois russes et de trois anglais

Les chariots se mirent en route sous la conduite du foreloper, et à midi, tous les membres de la commission scientifique étaient réunis. Pas un d’eux, on le sait, ne manquait à l’appel. Les incidents divers du combat contre les lions furent racontés et les vainqueurs très chaudement félicités.

Pendant cette matinée, sir John Murray, Michel Zorn et William Emery avaient mesuré du haut de la montagne la distance angulaire d’une nouvelle station située à quelques milles dans l’ouest de la méridienne. Les opérations pouvaient donc continuer sans retard. Les astronomes, ayant également pris la hauteur zénithale de quelques étoiles, calculèrent la latitude du piton, d’où Nicolas Palander conclut qu’une seconde portion de l’arc méridien, équivalente à un degré, avait été obtenue par les dernières mesures trigonométriques. C’étaient donc, en somme, deux degrés déduits depuis la base pour une série de quinze triangles.

Les travaux furent immédiatement poursuivis. Ils s’accomplissaient dans des conditions satisfaisantes, et l’on devait espérer qu’aucun obstacle physique ne s’opposerait à leur entier achèvement. Pendant cinq semaines, le ciel se montra propice aux observations. La contrée, un peu accidentée, se prêtait à l’établissement des mires. Sous la direction du bushman, les campements s’organisaient régulièrement. Les vivres ne manquaient pas. Les chasseurs de la caravane, sir John en tête, ravitaillaient sans cesse l’expédition. L’honorable Anglais n’en était plus à compter les variétés d’antilopes ou les buffles qui tombaient sous ses balles. Tout marchait au mieux. La santé générale était satisfaisante. L’eau ne s’était pas encore raréfiée dans les plis de terrain. Enfin, les discussions entre le colonel Everest et Mathieu Strux semblaient se modérer, au grand plaisir de leurs compagnons. Chacun rivalisait de zèle, et l’on pouvait déjà prévoir le succès définitif de l’entreprise, quand une difficulté locale vint gêner momentanément les observations et raviver les rivalités nationales.

C’était le 11 août. Depuis la veille, la caravane parcourait un pays boisé, dont les forêts et les taillis se succédaient de mille en mille. Ce matin-là, les chariots s’arrêtèrent devant une immense agrégation de hautes futaies, dont les limites devaient s’étendre bien au delà de l’horizon. Rien de plus imposant que ces masses de verdure qui formaient comme un rideau de cent pieds tendu au-dessus du sol. Aucune description ne donnerait une idée exacte de ces beaux arbres qui composaient une forêt africaine. Là s’entremêlaient les essences les plus diverses, le « gounda, » le « mosokoso, » le « moukomdou, » bois recherché pour les constructions navales, les ébéniers à gros troncs dont l’écorce recouvre une chair