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de trois russes et de trois anglais

C’était la troupe d’éléphants. Une demi-douzaine de ces gigantesques animaux, presque aussi gros que leurs congénères de l’Inde, s’avançaient d’un pas lent vers la mare.

Le jour qui se faisait peu à peu permit à sir John d’admirer ces puissants animaux. L’un d’eux, un mâle, de taille énorme, attira surtout son attention. Son large front convexe se développait entre de vastes oreilles qui lui pendaient jusqu’au-dessous de la poitrine. Ses dimensions colossales semblaient encore accrues par la pénombre. Cet éléphant projetait vivement sa trompe au-dessus du fourré, et frappait de ses défenses recourbées les gros troncs d’arbres qui gémissaient au choc. Peut-être l’animal pressentait-il un danger prochain.

Cependant, le bushman s’était penché à l’oreille de sir John Murray, et lui avait dit :

« Celui-là vous convient-il ? »

Sir John fit un signe affirmatif.

« Bien, ajouta Mokoum, nous le séparerons du reste de la troupe. »

En ce moment, les éléphants arrivèrent au bord de la mare. Leurs pieds spongieux s’enfoncèrent dans la vase molle. Ils puisaient l’eau avec leur trompe, et cette eau, versée dans leur large gosier, produisait un glou-glou retentissant. Le grand mâle, sérieusement inquiet, regardait autour de lui et aspirait bruyamment l’air afin de saisir quelque émanation suspecte.

Soudain, le bushman fit entendre un cri particulier. Ses trois chiens, aboyant aussitôt avec vigueur, s’élancèrent hors du taillis et se précipitèrent vers la troupe des pachydermes. En même temps, Mokoum, après avoir dit à son compagnon ce seul mot : « restez, » enleva son zèbre, et franchit le buisson de manière à couper la retraite au grand mâle.

Ce magnifique animal, d’ailleurs, ne chercha pas à se dérober par la fuite. Sir John, le doigt sur la gâchette de son fusil, l’observait. L’éléphant battait les arbres de sa trompe, et remuait frénétiquement sa queue donnant, non plus des signes d’inquiétude, mais des signes de colère. Jusqu’alors, il n’avait que senti l’ennemi. En ce moment, il l’aperçut et fondit sur lui.

Sir John Murray était alors posté à soixante pas de l’animal. Il attendit qu’il fût arrivé à quarante pas, et le visant au flanc, il fit feu. Mais un mouvement du cheval dérangea la justesse de son tir, et la balle ne traversa que des chairs molles sans rencontrer un obstacle suffisant pour éclater.

L’éléphant, furieux, précipita sa course, qui était plutôt une marche excessivement rapide qu’un galop. Mais cette marche eût suffi à distancer un cheval.

Le cheval de sir John, après s’être cabré, se jeta hors du taillis, sans