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de trois russes et de trois anglais

de Mokoum. Le chasseur anglais montait son cheval ordinaire, et Mokoum, son zèbre domestique. Trois chiens suivaient en gambadant. Sir John Murray et Mokoum étaient armés chacun d’une carabine de chasse, à balle explosive, ce qui dénotait de leur part l’intention de s’attaquer aux fauves de la contrée.

Les deux chasseurs se dirigèrent dans le nord-est, vers une région boisée, située à une distance de quelques milles du kraal. Tous deux chevauchaient l’un près de l’autre et causaient.

« J’espère, maître Mokoum, dit sir John Murray, que vous tiendrez ici la promesse que vous m’avez faite aux chutes de Morgheda, de me conduire au milieu de la contrée la plus giboyeuse du monde. Mais sachez bien que je ne suis pas venu dans l’Afrique australe pour tirer des lièvres ou forcer des renards. Nous avons cela dans nos highlands de l’Écosse. Avant une heure, je veux avoir jeté à terre…

— Avant une heure ! répondit le bushman. Votre Honneur me permettra de lui dire que c’est aller un peu vite, et qu’avant tout, il faut être patient. Moi, je ne suis patient qu’à la chasse, et je rachète dans ces circonstances toutes les autres impatiences de ma vie. Ignorez-vous donc, sir John, que chasser la grosse bête, c’est toute une science, qu’il faut apprendre soigneusement le pays, connaître les mœurs des animaux, étudier leurs passages, puis, les tourner pendant de longues heures de façon à les approcher sous le vent ? Savez-vous qu’il ne faut se permettre ni un cri intempestif, ni un faux pas bruyant, ni un coup d’œil indiscret ! Moi, je suis resté des journées entières à guetter un buffle ou un gemsbok, et quand après trente-six heures de ruses, de patience, j’avais abattu la bête, je ne croyais pas avoir perdu mon temps.

— Fort bien, mon ami, répondit sir John Murray, je mettrai à votre service autant de patience que vous en demanderez : mais n’oublions pas que cette halte ne durera que trois ou quatre jours, et qu’il ne faut perdre ni une heure ni une minute !

— C’est une considération, répondit le bushman d’un ton si calme que William Emery n’aurait pu reconnaître son compagnon de voyage au fleuve Orange, c’est une considération. Nous tuerons ce qui se présentera, sir John, nous ne choisirons pas. Antilope ou daim, gnou ou gazelle, tout sera bon pour des chasseurs si pressés !

— Antilope ou gazelle ! s’écria sir John Murray, je n’en demande pas tant pour mon début sur la terre africaine. Mais qu’espérez-vous donc m’offrir, mon brave bushman ? »

Le chasseur regarda son compagnon d’un air singulier, puis, d’un ton ironique :