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de trois russes et de trois anglais

— Mon cher William, répondit Michel Zorn avec une grande franchise, j’accepterai loyalement pour chef celui des deux qui saura s’imposer comme tel. Dans cette question scientifique, je n’apporte aucun préjugé, aucun amour-propre national. Mathieu Strux et le colonel Everest sont deux hommes remarquables. Ils se valent tous deux. L’Angleterre et la Russie doivent profiter également du résultat de leurs travaux. Il importe donc peu que ces travaux soient dirigés par un Anglais ou par un Russe. N’êtes-vous pas de mon avis ?

— Absolument, mon cher Zorn, répondit William Emery. Ne nous laissons donc point distraire par des préjugés absurdes, et dans la limite de nos moyens, employons tous deux nos efforts au bien commun. Peut-être nous sera-t-il possible de détourner les coups que se porteront les deux adversaires. D’ailleurs votre compatriote, Nicolas Palander…

— Lui ! répondit en riant Michel Zorn, il ne verra rien, il n’entendra rien, il ne comprendra rien. Il calculerait pour le compte de Theodoros, pourvu qu’il calculât. Il n’est ni Russe, ni Anglais, ni Prussien, ni Chinois ! Ce n’est pas même un habitant du globe sublunaire. Il est Nicolas Palander, voilà tout.

— Je n’en dirai pas autant de mon compatriote, sir John Murray, répondit William Emery. Son Honneur est un personnage très anglais, mais c’est aussi un chasseur déterminé, et il se lancera plus facilement sur les traces d’une girafe ou d’un éléphant que dans une discussion de méthodes scientifiques. Ne comptons donc que sur nous-mêmes, mon cher Zorn, pour amortir le contact incessant de nos chefs. Il est inutile d’ajouter que, quoi qu’il arrive, nous serons toujours franchement et loyalement unis.

— Toujours, quoi qu’il arrive ! » répondit Michel Zorn, tendant la main à son ami William.

Cependant la caravane, guidée par le bushman, continuait à descendre vers les régions du sud-ouest. Pendant la journée du 4 mars, à midi, elle atteignit la base de ces longues collines boisées, qu’elle suivait depuis Lattakou. Le chasseur ne s’était pas trompé ; il avait conduit l’expédition vers la plaine. Mais cette plaine, encore ondulée, ne pouvait se prêter aux premiers travaux de la triangulation. La marche en avant ne fut donc pas interrompue. Mokoum reprit la tête des cavaliers et des chariots, tandis que sir John Murray, William Emery et Michel Zorn poussaient une pointe en avant.

Vers la fin de la journée, toute la troupe atteignit une de ces stations occupées par les fermiers nomades, ces « boors » que la richesse des pâturages fixe pour quelques mois en certains lieux. Le colonel Everest et ses compagnons furent hospitalièrement accueillis par ce colon, un Hollan-