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aventures

son cours, Thompson, Alexander, Burchell, ont tour à tour vanté la limpidité de ses eaux et la beauté de ses rives.

En cet endroit, l’Orange, se rapprochant des montagnes du duc d’York, offrait aux regards un spectacle sublime. Rocs infranchissables, masses imposantes de pierres et de troncs d’arbres minéralisés sous l’action du temps, cavernes profondes, forêts impénétrables que n’avait pas encore déflorées la hache du settler, tout cet ensemble, encadré dans l’arrière-plan des monts Gariepins, formait un site d’une incomparable magnificence. Là, les eaux du fleuve, encaissées dans un lit trop étroit pour elles et auxquelles le sol venait à manquer subitement, se précipitaient d’une hauteur de quatre cents pieds. En amont de la chute, c’était un simple bouillonnement des nappes liquides, déchirées çà et là par quelques têtes de roc enguirlandées de branches vertes. En aval, le regard ne saisissait qu’un sombre tourbillon d’eaux tumultueuses, que couronnait un épais nuage d’humides vapeurs, zébrées des sept couleurs du prisme. De cet abîme s’élevait un fracas étourdissant, diversement accru par les échos de la vallée.

De ces deux hommes que les hasards d’une exploration avaient sans doute amenés dans cette partie de l’Afrique australe, l’un ne prêtait qu’une vague attention aux beautés naturelles offertes à ses regards. Ce voyageur indifférent, c’était un chasseur bushman, un beau type de cette vaillante race aux yeux vifs, aux gestes rapides, dont la vie nomade se passe dans les bois. Ce nom de bushman, — mot anglaisé tiré du hollandais Boschjesman, — signifie littéralement « homme des buissons. » Il s’applique aux tribus errantes qui battent le pays dans le nord-ouest de la colonie du Cap. Aucune famille de ces bushmen n’est sédentaire. Leur vie se passe à errer dans cette région comprise entre la rivière d’Orange et les montagnes de l’est, à piller les fermes, à détruire les récoltes de ces impérieux colons qui les ont repoussés vers les arides contrées de l’intérieur, où poussent plus de pierres que de plantes.

Ce bushman, âgé de quarante ans environ, était un homme de haute taille, et possédait évidemment une grande force musculaire. Même au repos, son corps offrait encore l’attitude de l’action. La netteté, l’aisance et la liberté de ses mouvements dénotaient un individu énergique, une sorte de personnage coulé dans le moule du célèbre Bas-de-Cuir, le héros des prairies canadiennes, mais avec moins de calme peut-être que le chasseur favori de Cooper. Cela se voyait à la coloration passagère de sa face, animée par l’accélération des mouvements de son cœur.

Le bushman n’était plus un sauvage comme ses congénères, les anciens Saquas. Né d’un père anglais et d’une mère hottentote, ce métis, à