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bord dépassait quatre mille, parmi lesquels on comptait quinze cents émigrants parqués sous la partie basse du steam-boat. Le souper terminé, nous allâmes nous coucher dans notre confortable cabine.

À onze heures, je fus réveillé par une sorte de choc. Le Saint-John s’était arrêté. Le capitaine, ne pouvant plus manœuvrer au milieu de ces épaisses ténèbres, avait fait stopper. L’énorme bateau, mouillé dans le chenal, s’endormit tranquillement sur ses ancres.

À quatre heures du matin, le Saint-John reprit sa marche. Je me levai et j’allai m’abriter sous la véranda de l’avant. La pluie avait cessé ; la brume se levait ; les eaux du fleuve apparurent, puis ses rives ; la rive droite, mouvementée, revêtue d’arbres verts et d’arbrisseaux qui lui donnaient l’apparence d’un long cimetière ; à l’arrière-plan, de hautes collines fermant l’horizon par une ligne gracieuse ; au contraire, sur la rive gauche, des terrains plats et marécageux ; dans le lit du fleuve, entre les îles, des goélettes appareillant sous la première brise et des steam-boats remontant le courant rapide de l’Hudson.

Le docteur Pitferge était venu me rejoindre sous la vérandah.

« Bonjour, mon compagnon, me dit-il, après avoir humé un grand coup d’air. Savez-vous que, grâce à ce maudit brouillard, nous n’arriverons pas à Albany assez tôt pour prendre le premier train ! Cela va modifier mon programme.

— Tant pis, docteur, car il faut être économe de notre temps.

— Bon ! nous en serons quittes pour atteindre Niagara-Falls dans la nuit, au lieu d’y arriver le soir. »

Cela ne faisait pas mon affaire, mais il fallut se résigner. En effet, le Saint-John ne fut pas amarré au quai d’Albany avant huit heures. Le train du matin était parti. Donc, nécessité d’attendre le train d’une heure quarante. De là toute facilité pour visiter cette curieuse cité qui forme le centre législatif de l’État de New-York, la basse ville, commerciale et populeuse, établie sur la rive droite de l’Hudson, la haute ville avec ses maisons de brique, ses établissements publics, son très remarquable muséum de fossiles. On eût dit un des grands quartiers de New-York transporté au flanc de cette colline sur laquelle il se développe en amphithéâtre.

À une heure, après avoir déjeuné, nous étions à la gare, une gare libre, sans barrière, sans gardiens. Le train stationnait tout simplement au milieu de la rue comme un omnibus sur une place. On monte quand on veut dans ces longs wagons, supportés à l’avant et à l’arrière par un système pivotant à quatre roues. Ces wagons communiquent entre eux par des passerelles qui permettent au voyageur de se promener d’une extrémité du convoi à l’autre. À l’heure dite, sans que nous eussions vu ni un chef ni un employé, sans un coup de cloche, sans un avertissement, la fringante lo-