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un drame en livonie.

male », comme ils le disaient eux-mêmes, était l’une des qualités principales de ces riches banquiers, dans la vie courante comme dans les affaires, aussi bien quand il s’agissait de recevoir que lorsqu’il s’agissait de payer. Frank Johausen, le frère aîné, tenait surtout à ce que les repas, les visites, le lever, le coucher, fussent réglés militairement, et aussi, sans doute, les sentiments et les plaisirs ; tels les articles du grand-livre de sa maison de banque, l’une des plus importantes de Riga.

Or, ce matin-là, à l’heure dite, le samovar ne se trouva pas en état de fonctionner. Pour quelle raison ? Un peu de paresse dont se reconnut coupable Trankel, le valet de chambre, spécialement chargé de ce service près de son maître.

Il advint donc que, au moment où M. Frank Johausen et son frère, Mme Johausen et sa fille Margarit Johausen entrèrent, le thé n’était point prêt à être versé dans les tasses rangées sur la table.

On ne l’ignore pas, la prétention, assez peu justifiée d’ailleurs, de ces riches Allemands des provinces Baltiques, est de traiter paternellement leur personnel domestique. La famille est restée patriarcale, les serviteurs y sont considérés comme des enfants de la maison, et c’est pour cela, on doit le croire, qu’ils ne sauraient échapper aux corrections paternelles.

« Trankel, pourquoi le thé n’est-il pas servi ?… demanda M. Frank Johausen.

— Que mon maître m’excuse, répondit Trankel d’un ton assez piteux, mais j’ai oublié…

— Ce n’est pas la première fois, Trankel, répliqua le banquier, et j’ai tout lieu de croire que ce ne sera pas la dernière. »

Mme  Johausen et son beau-frère, hochant la tête en signe d’approbation, s’étaient approchés du grand poêle de faïence artistique, lequel, fort heureusement, n’était pas éteint comme le samovar.