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le kabak de la « croix-rompue ».

De nature peu communicative, Kroff vivait très retiré, quittant rarement son auberge, ne faisant que de rares apparitions à Pernau, travaillant à son jardin lorsqu’il n’y avait pas de pratiques à servir, n’ayant ni fille ni garçon pour l’aider. C’était un homme vigoureux, à figure rougeaude, à barbe drue, à chevelure épaisse, au regard hardi. Il n’interrogeait jamais personne et répondait brièvement quand on lui parlait.

La maison, derrière laquelle s’étendait le jardin, comprenait uniquement un rez-de-chaussée avec porte principale d’un seul vantail.

On entrait d’abord dans la salle du débit, éclairée par sa fenêtre au fond. À droite et à gauche deux chambres prenaient jour sur la grande route. Celle de Kroff formait une annexe de l’auberge en retour vers le potager.

Porte et contrevents de ce kabak étaient solides, munis de forts crochets et verrous à l’intérieur. Le cabaretier les fermait dès le crépuscule, le pays n’étant guère sûr. Mais le débit n’en était pas moins ouvert jusqu’à dix heures. En ce moment, il contenait une demi-douzaine de clients que le vodka et le schnaps mettaient en joyeuse humeur.

Le jardin, d’un demi-arpent, simplement clos d’une haie vive, confinait au bois de sapins qui se prolongeait au-delà de la route. Il produisait les légumes de consommation courante, que Kroff cultivait avec assez de profit. Quant aux arbres fruitiers, abandonnés aux soins de la nature, c’était des cerisiers de maigre venue, des pommiers donnant des pommes de bonne qualité, et quelques massifs de ces framboisiers aux fruits parfumés, de couleur éclatante, qui prospèrent en Livonie.

Ce soir-là, autour des tables causaient et buvaient trois ou quatre paysans et autant de bûcherons des hameaux voisins. Le schnaps à deux kopeks le petit verre les y attirait quotidiennement, avant le retour à leurs fermes ou cabanes, distantes de