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p’tit-bonhomme.

pour lui-même que pour cette cargaison menacée. Sa fortune entière à bord d’un navire en péril… tout ce bien qu’il ne pourrait faire, si elle était perdue…

Les choses prenaient une tournure très grave.

En vain le capitaine avait-il tenté de mettre la Doris en cape courante, de manière à présenter son avant aux lames, afin de s’écarter de la côte ou d’en rester à bonne distance. Par malheur, vers une heure du matin, le petit foc et le tourmentin furent emportés. Une heure après, la mâture vint en bas. Brusquement, la Doris se coucha sur tribord, et, comme sa cargaison s’était déplacée dans la cale, ne pouvant se relever, elle risquait d’emplir par-dessus les pavois.

P’tit-Bonhomme, qui avait été jeté contre les cloisons de la cabine, se redressa, à tâtons.

En ce moment, pendant une accalmie, des cris arrivèrent jusqu’à lui. Il se faisait un grand tumulte sur le pont. Avait-il donc été défoncé par un coup de mer ?…

Non ! John Clear, dans l’impossibilité de redresser la goélette, et craignant qu’elle ne vînt à sombrer, faisait ses préparatifs pour l’abandonner. Malgré l’inclinaison, qui rendait la manœuvre très dangereuse, on avait mis la chaloupe à la mer. Il fallait s’y embarquer sans perdre une minute. P’tit-Bonhomme le comprit, lorsqu’il s’entendit appeler par le capitaine à travers le capot entrebâillé.

Abandonner la goélette et tout ce qu’elle renfermait dans la cale ?… Non… Cela ne se pouvait pas ! N’y eût-il qu’une seule chance de la sauver, P’tit-Bonhomme était résolu à courir cette chance — même au péril de sa vie… Il connaissait la loi maritime : si la mer ne l’engloutit pas, un navire abandonné appartient au premier qui monte à bord… Le code anglais est formel, qui déclare propriété du sauveteur tout bâtiment trouvé en mer sans son équipage…

Les cris redoublaient. John Clear appelait toujours.

« Où est-il donc ?… répétait-il.

— Nous allons couler ! criaient les matelots.

— Mais… ce garçon ?…