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p’tit-bonhomme.

jouissance pour notre jeune garçon de se sentir emporté sous les ailes de la Doris, à travers cette mer un peu houleuse au large, très maniable d’ailleurs avec l’allure du grand largue. Pas le moindre malaise. Un mousse n’eût pas eu le cœur plus marin. Cependant une pensée lui traversait parfois l’esprit : il songeait à cette cargaison renfermée dans les flancs de la goélette, à ces abîmes qui n’auraient qu’à s’entrouvrir pour engloutir toute sa fortune…

Mais pourquoi cette préoccupation que ne justifiait aucun fâcheux pronostic ? La Doris était un solide bâtiment, excellent voilier, bien dans la main de son capitaine, et qui se comportait crânement à la mer.

Quel regret que Bob ne fût pas à bord ! Quelle joie And Co aurait éprouvée à naviguer « pour de vrai », cette fois, et non plus sur un Vulcan amarré au quai de Cork ou de Dublin ? Si P’tit-Bonhomme avait prévu qu’il effectuerait son retour par mer, il eût certainement emmené Bob, et Bob aurait été au comble de ses vœux.

Il est admirable, ce littoral qui se prolonge sur la limite du comté d’Antrim, montrant ses blanches murailles de calcaire, ses profondes cavernes qui suffiraient à loger tout le personnel de la mythologie gaélique. Là se dressent ces « tuyaux de cheminées », dont la fumée n’est formée que de l’écume des embruns, et ces falaises rocheuses, tellement semblables à des murs de forteresse, avec créneaux et mâchicoulis, que les Espagnols de l’Armada les battirent à coups de canon. Là se développe cette Chaussée des Géants, faite de colonnes verticales, monstrueux pilotis de basalte, auxquels les violents ressacs impriment une sonorité métallique, et dont on compte plus de quarante mille, à en croire les touristes arithméticiens. Tout cela était merveilleux d’aspect. Mais la Doris se garda d’approcher ces lignes de récifs, et, vers quatre heures de l’après-midi, laissant au nord-est le Mull écossais de Cantire, à l’ouvert de Clyde Bay, elle donnait entre le cap Fair et l’île Rathlin, afin d’embouquer le canal du Nord.

La brise de nord-ouest se maintint jusqu’à trois heures de l’après-midi, en dissolvant les nuages des hautes zones de l’atmosphère.