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le bazar des « petites poches ».

bien sans lui. Un jour, c’était un portefeuille destiné à remplacer celui qu’il n’avait jamais eu. Un autre, c’était un joli brick peinturluré qu’il devait donner aux enfants de l’un de ses camarades du Vulcan, lequel n’avait jamais été père de sa vie. Par exemple, ce qu’il acheta de plus coûteux, ce fut une admirable pipe en fausse écume, munie d’un magnifique bout d’ambre en verre jaune.

Et, de répéter à P’tit-Bonhomme qu’il obligeait à recevoir le prix de ses acquisitions :

« Hein, mon boy, ça va !… Ça va même à plus d’cent tours d’hélice, pas vrai ?… Te v’là commandant à bord des Petites Poches… et tu n’as plus qu’à pousser tes feux !… Il est loin, l’temps où tous deux, nous courions en gu’nilles les rues de Galway… où nous crevions d’faim et d’froid dans le gal’tas d’la ragged-school !… À propos, et c’coquin d’Carker, a-t-il été pendu ?…

— Pas encore, que je sache, Grip.

— Ça viendra… ça viendra, et tu auras soin de m’mett’e à part l’journal qui racont’ra la cérémonie ! »

Puis, Grip retournait à bord, le Vulcan reprenait la mer, et, à quelques semaines de là, on voyait le chauffeur reparaître au bazar, où il se ruinait en nouveaux achats.

Un jour, P’tit-Bonhomme lui dit :

« Tu crois toujours, Grip, que je ferai fortune ?

— Si je l’crois, mon boy !… Comme j’crois que not’camarade Carker finira au bout d’une corde ! »

C’était pour lui le dernier degré de certitude auquel on pût atteindre ici-bas.

« Eh bien, et toi, mon bon Grip, est-ce que tu ne songes pas à l’avenir ?…

— Moi ?… Pourquoi qu’j’y song’rais ?… N’ai-je pas un métier que je n’changerai pas pour n’import’ l’quel ?…

— Un métier pénible, et qu’on ne paie guère !

— Guère ?… Quat’e livres par mois… et nourri… et logé… et chauffé… rôti même des fois !..