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p’tit-bonhomme.

ambition enfantine se haussait au-delà de ces fonctions de groom. Sa fierté naturelle en souffrait. Cette annihilation de lui-même devant l’héritier des Piborne, auquel il se sentait supérieur, l’humiliait. Oui ! supérieur, bien que le comte Ashton reçût encore des leçons de latin, d’histoire, etc., car des professeurs venaient les lui enseigner, essayant de le remplir comme on remplit d’eau une cruche. En fait, son latin n’était que du « latin de chien » — expression équivalente en Angleterre à celle de « latin de cuisine » — et sa science historique se bornait à ce qu’il lisait dans le Livre d’Or de la race chevaline.

Si P’tit-Bonhomme ignorait ces belles choses, il savait réfléchir. À dix ans, il savait penser. Il appréciait ce fils de famille à sa juste valeur, et rougissait parfois des fonctions qu’il remplissait près de lui. Ah ! ce travail vivifiant et salutaire de la ferme, combien il le regrettait, et aussi son existence au milieu des Mac Carthy, dont il n’avait plus eu de nouvelles ! La lessiveuse du château, c’était le seul être auquel il pouvait s’abandonner.

Du reste, l’occasion se présenta bientôt de mettre à l’épreuve l’amitié de la bonne femme.

Il est à propos de mentionner ici que le procès contre la paroisse de Kanturk avait été jugé au profit de la famille Piborne, grâce à la production de l’acte rapporté par P’tit-Bonhomme. Mais ce que celui-ci avait fait là paraissait oublié maintenant, et pourquoi lui en aurait-on su gré ?

Mai, juin et juillet s’étaient succédé. D’une part, Birk avait pu être nourri tant bien que mal. Il semblait comprendre la nécessité de montrer une extrême prudence afin de ne point éveiller les soupçons, lorsqu’il rôdait aux environs du parc. De l’autre, P’tit-Bonhomme avait touché trois fois ses deux livres mensuelles — ce qui lui réalisait la grosse somme de six livres, inscrite sur son agenda où la colonne des dépenses était intacte.

Durant ces trois mois, l’occupation de lord et de lady Piborne avait été uniquement de recevoir et de rendre des visites, politesses échangées entre les châtelains du voisinage. Il va de soi que, pendant ces