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mauvaise année.

dans leur poche. Si les propriétaires fonciers ont à payer trois cent mille livres pour la propriété foncière et six cent mille livres pour la taxe des pauvres, les paysans sont encore plus écrasés par les impôts qui leur incombent personnellement, c’est-à-dire les redevances pour les routes, les ponts, la police, la justice, les prisons, les travaux publics — total qui s’élève au taux énorme d’un million de livres sterling, rien que pour l’Irlande.

Satisfaire à toutes ces exigences fiscales, lorsque la récolte a été bonne, lorsque l’année a laissé quelques économies, en un mot, quand les circonstances ont été favorables, cela est déjà très onéreux au fermier, puisqu’il lui reste encore à payer les fermages. Mais, lorsque le sol a été frappé de stérilité, quand la rudesse de l’hiver et les inondations ont achevé de ruiner un pays, alors que les spectres de l’éviction et de la famine se lèvent à son horizon, que faire ? Cela n’empêche pas le collecteur de se présenter à son heure, et, après sa visite, les dernières épargnes ont disparu… Ainsi arriva-t-il à Martin Mac Carthy.

Où étaient les heures de joie et de fête que P’tit-Bonhomme avait connues pendant les premiers temps de son séjour ? On ne travaillait plus, maintenant que le travail manquait, et, durant ces longues journées, la famille, désespérée, chômait autour de Grand’mère, qui dépérissait à vue d’œil.

Du reste, cette avalanche de désastres avait écrasé la plupart des districts du comté. Aussi, dès le début de l’hiver de 1881, avaient éclaté partout les menaces de « boycottage », c’est-à-dire la violence mise au service des grèves agraires, afin d’empêcher la location des terres ou leur mise en culture — procédés inefficaces qui ruinent à la fois le fermier et le propriétaire. Ce n’est pas avec ces moyens que l’Irlande peut échapper aux exactions du régime féodal, ni amener la rétrocession du sol aux tenanciers dans une mesure équitable, ni abolir les funestes pratiques du landlordisme !

Néanmoins, l’agitation redoubla au milieu des paroisses frappées par tant de misères. Au premier rang, le comté de Kerry se signala