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et il n’avait pas encore neuf ans.

ques mesures, faisait surveiller de très près les nationalistes par ses brigades de police.

M. Martin et Sim, éprouvant les mêmes sentiments que Murdock, ne disaient rien quand celui-ci était de retour, après une absence prolongée. Mais les femmes, elles, le suppliaient d’être prudent, de prendre garde à ses actes, à ses paroles. Elles voulaient lui arracher la promesse de ne pas s’associer aux rébellions en faveur du home rule, qui ne pouvaient amener qu’une catastrophe.

Murdock éclatait alors, et la grande salle retentissait de ses colères. Il parlait, il s’emportait, comme s’il eût été dans le feu de quelque meeting.

« La misère, après toute une vie de travail, la misère sans fin ! » répétait-il.

Et, tandis que Martine et Kitty tremblaient à la pensée que Murdock aurait pu être entendu du dehors, en cas que quelque agent eût rôdé autour de la ferme, M. Martin et Sim, assis à l’écart, courbaient la tête.

P’tit-Bonhomme assistait à ces tristes scènes, très ému. Après avoir subi tant d’épreuves, n’était-il donc pas arrivé au terme de ses misères le jour où il avait été recueilli à Kerwan ?

L’avenir lui en réservait-il de plus dures encore ?

Il avait alors huit ans et demi. Fortement constitué pour son âge, ayant eu la chance d’échapper aux maladies de l’enfance, ni les souffrances, ni les mauvais traitements, ni le manque de soins, n’avaient pu affaiblir son organisme. On dit des chaudières à vapeur qu’elles ont été éprouvées à « tant » d’atmosphères, quand on les a soumises aux pressions correspondantes. Eh bien, P’tit-Bonhomme avait été éprouvé — c’est le mot — éprouvé jusqu’à son maximum de résistance, et il était capable d’une surprenante endurance physique et morale. Cela se voyait à ses épaules développées, à sa poitrine déjà large, à ses membres grêles mais nerveux et bien musclés. Sa chevelure tendait à brunir, et il la portait courte au lieu de ces boucles que miss Anna Waston faisait frisotter, sur son front. Ses yeux, d’un iris