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eut à peine. Quant aux seigles, aux orges, aux avoines, on dut reconnaître que ces diverses céréales allaient être insuffisantes pour les besoins du pays. Sans doute, cela amènerait une hausse des prix. Mais en quoi les cultivateurs profiteraient-ils de cette hausse, puisqu’ils n’auraient rien à vendre, étant forcés de conserver le peu qu’ils récolteraient pour les semailles de la prochaine année ? Aussi ceux qui avaient pu faire quelques économies devaient-ils s’attendre à les sacrifier d’abord pour le paiement des diverses taxes ; puis, tout l’argent disparaîtrait jusqu’au dernier shilling lors du règlement des fermages.

La conséquence de cet état de choses fut que le mouvement nationaliste tendit à s’accentuer dans les comtés. C’est ce qui arrive toutes les fois qu’un nuage de misère se lève à l’horizon des campagnes irlandaises. En maint endroit retentirent les récriminations mêlées aux cris désespérés des partisans de la ligue agraire. De terribles menaces furent proférées contre les propriétaires du sol, qu’ils fussent ou non étrangers, et on n’a pas oublié que les landlords écossais ou anglais étaient considérés comme tels.

Cette année-là, en juin, à Westport, les gens, ameutés par la faim, venaient de s’écrier : « Accrochez-vous d’une poigne solide à vos fermes ! » et le mot d’ordre qui courait à travers les campagnes, c’était : « la terre aux paysans ! »

Quelques scènes de désordre éclatèrent sur les territoires du Donegal, du Sligo, du Galway. Le Kerry n’en fut point exempt. Très effrayées, Grand’mère, Martine et Kitty virent trop souvent Murdock quitter la ferme, à la nuit close, et n’y reparaître que le lendemain, fatigué par de longues étapes, et plus sombre, plus ulcéré que jamais. Il revenait de ces meetings organisés dans les principales bourgades, où l’on prêchait la révolte, le soulèvement contre les lords, le boycottage général, qui obligerait les propriétaires à laisser leurs terres en friche.

Et, ce qui accroissait les craintes de la famille au sujet de Murdock, c’est que le lord lieutenant pour l’Irlande, décidé aux plus énergi-