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p’tit-bonhomme.

Trois enfants lui avaient été confiés par la maison de charité de Donegal, deux petites filles de quatre et six ans et demi, et un petit garçon de deux ans et neuf mois.

Des enfants abandonnés, cela va sans dire, peut-être même des orphelins recueillis sur la voie publique. Dans tous les cas, on ne connaissait point leurs parents, on ne les connaîtrait jamais sans doute. S’ils revenaient à Donegal, c’était le travail au work-house qui les attendait, lorsqu’ils auraient l’âge — ce work-house, dont sont pourvus non seulement les villes, mais les bourgades et parfois les villages de la Grande-Bretagne.

Quel était le nom de ces enfants, ou plutôt lequel leur avait-on donné à la maison de charité ? Le premier venu. Du reste, peu importe le nom de la plus petite des deux fillettes, car elle va bientôt mourir. Quant à la plus grande, elle s’appelait Sissy, abréviation de Cecily. Jolie enfant, aux cheveux blonds, qu’un peu de soins eût rendus doux et soyeux, grands yeux bleus, intelligents et bons, dont la limpidité était déjà altérée par les larmes ; mais les traits hâves et tirés, le teint décoloré, les membres amaigris, la poitrine creuse, les côtes saillant sous ses haillons comme celles d’un écorché. Voilà à quel état l’avaient réduite les mauvais traitements ! Et cependant, douée d’une nature patiente et résignée, elle acceptait la vie qu’on lui faisait sans se figurer « que cela eût pu être autrement ». Et où aurait-elle appris qu’il y a des enfants choyés de leur mère, entourés d’attentions, enveloppés de caresses, auxquels ne manquent ni les baisers, ni les bons vêtements, ni la bonne nourriture ? Ce n’était pas dans la maison de charité, où ses pareilles n’étaient pas mieux traitées que des petits d’animaux.

Si l’on demande le nom du garçon, la réponse sera qu’il n’en a même pas. Il avait été trouvé au coin d’une rue de Donegal, à l’âge de six mois, enroulé d’un morceau de grosse toile, la figure bleuie, n’ayant plus que le souffle. Transporté à l’hospice, on l’avait mis avec les autres bébés, et personne ne s’était occupé de lui donner un nom. Que voulez-vous, un oubli ! D’habitude, on l’appelait « Little-Boy »,