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ces arides territoires du Nord, ce ne sont pas les bras qui manquent à la culture, c’est le sol cultivable. Le plus opiniâtre des travailleurs s’y épuise en vain. À l’intérieur, on ne voit que ravins stériles, gorges ingrates, terrains tourmentés, noyaux pierreux, dunes sablonneuses, tourbières béantes comme des écorchures malsaines, landes marécageuses, chevauchées de montagnes, les Glendowan, les

Derryveagh, en un mot, un « pays rompu », disent les Anglais. Sur le littoral, baies et fjords, anses et criques, dessinent autant d’entonnoirs caverneux où s’engouffrent les vents du large, gigantesque orgue granitique que l’océan remplit à pleins poumons de ses tempêtes. Le Donegal est au premier rang des régions offertes à l’assaut des tourmentes venues d’Amérique, gonflées sur un parcours de trois mille milles, du cortège des bourrasques qu’elles attirent à leur passage. Il ne faut pas moins qu’une côte de fer pour résister à ces formidables galernes du nord-ouest.

Et, précisément, la baie de Donegal sur laquelle s’ouvre le port de pêche de ce nom, découpée en mâchoire de requin, doit aspirer ces courants atmosphériques, saturés de l’embrun des lames. Aussi, la petite ville, située au fond, est-elle largement éventée en toute saison. Ce n’est pas son écran de collines qui peut arrêter les ouragans du large. Ils n’ont donc rien perdu de leur véhémence, quand ils attaquent le hameau de Rindok, à sept milles au-delà de Donegal.

Un hameau ?… Non. Neuf à dix huttes éparses aux abords d’une étroite gorge, ravinée par un cours d’eau, simple filet l’été, gros torrent l’hiver. De Donegal à Rindok, nul chemin tracé. Quelques sentes seulement à peine praticables aux charrettes du pays, attelées de ces chevaux irlandais, prudents d’allure, sûrs de pied, et parfois à des « jaunting-cars ». Si divers railways desservent déjà l’Irlande, le jour semble assez éloigné où leurs trains parcourront régulièrement les comtés de l’Ulster. À quoi bon, d’ailleurs ? Les bourgades et les villages sont rares. Les étapes du voyageur aboutissent plutôt à des fermes qu’à des paroisses.