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certaines tribus indigènes, où le cannibalisme est encore porté aux derniers excès.

C’est que, chez ces nègres australiens, — à peine dignes d’appartenir à l’humanité, — la vie est concentrée sur un acte unique. « Ammeri !… Ammeri ! » ce mot revient incessamment dans la langue indigène, et il signifie : faim. Le geste le plus fréquent de ces sauvages consiste à se frapper le ventre, car leur ventre n’est que trop souvent vide. Dans ces pays sans gibier et sans culture, on mange à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, lorsque l’occasion se présente, avec cette préoccupation constante d’un jeûne prochain et prolongé. Et, en effet, de quoi peuvent se nourrir ces indigènes — les plus misérables indubitablement de tous ceux que la nature a dispersés à la surface des continents ? D’une sorte de grossière galette, nommée « damper », faite d’un peu de blé sans levain, cuite non pas au four, mais sous des cendres brûlantes, — du miel, qu’ils récoltent parfois, à la condition d’abattre l’arbre au sommet duquel les abeilles ont établi leur ruche, — de ce « kadjerah », espèce de bouillie blanche, obtenue par l’écrasement des fruits du palmier vénéneux, dont le poison a été extrait à la suite d’une délicate manipulation, — de ces œufs de poules de jungle, enfouis dans le sol et que la chaleur fait éclore artificiellement, — de ces pigeons particuliers à l’Australie, qui suspendent leurs nids à l’extrémité des branches d’arbres. Enfin, ils utilisent encore certaines sortes de larves coléoptères, les unes recueillies entre la ramure des acacias, les autres déterrées au milieu des pourritures ligneuses, qui encombrent le dessous des fourrés… Et, c’est tout.

Voilà pourquoi, dans cette lutte de chaque heure pour l’existence, le cannibalisme s’explique avec toutes ses horribles monstruosités. Ce n’est pas même l’indice d’une férocité innée, ce sont les conséquences d’un besoin impérieux que la nature pousse le noir australien à satisfaire, car il meurt de faim. Aussi, dans ces conditions, que se passe-t-il ?

Sur le cours inférieur du Murray et chez les peuples de la ré-