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mistress branican.

Cet original, on l’a dit, était un Anglais de Liverpool, un de ces inoffensifs maniaques, qui n’appartiennent pas en propre au Royaume-Uni. Ne s’en rencontre-t-il pas sur les bords de la Loire, de l’Elbe, du Danube ou de l’Escaut, aussi bien que dans les contrées arrosées par la Tamise, la Clyde ou la Tweed ? Jos Meritt était fort riche, et très connu dans le Lancastre et comtés voisins pour ses fantaisies de collectionneur. Ce n’étaient point des tableaux, des livres, des objets d’art, pas même des bibelots qu’il ramassait à grand effort et à grands frais. Non ! C’étaient des chapeaux, — un musée de couvre-chefs historiques, — coiffures quelconques d’hommes ou de femmes, tromblons, tricornes, bicornes, pétases, calèches, clabauds, claques, gibus, casques, claque-oreilles, bousingots, barrettes, bourguignottes, calottes, turbans, toques, caroches, casquettes, fez, shakos, képis, cidares, colbacks, tiares, mitres, tarbouches, schapskas, poufs, mortiers de présidents, llantus des Incas, hennins du moyen âge, infules sacerdotaux, gasquets de l’Orient, cornes des doges, chrémeaux de baptême, etc., etc., des centaines et des centaines de pièces, plus ou moins lamentables, effilochées, sans fond et sans bords. À l’en croire, il possédait de précieuses curiosités historiques, le casque de Patrocle, lorsque ce héros fut tué par Hector au siège de Troie, le béret de Thémistocle à la bataille de Salamine, les barrettes de Galien et d’Hippocrate, le chapeau de César qu’un coup de vent avait emporté au passage du Rubicon, la coiffure de Lucrèce Borgia à chacun de ses trois mariages avec Sforze, Alphonse d’Este et Alphonse d’Aragon, le chapeau de Tamerlan quand ce guerrier franchit le Sind, celui de Gengis-Khan lorsque ce conquérant fit détruire Boukhara et Samarkande, la coiffure d’Élisabeth à son couronnement, celle de Marie Stuart lorsqu’elle s’échappa du château de Lockleven, celle de Catherine II quand elle fut sacrée à Moscou, le suroët de Pierre-le-Grand lorsqu’il travaillait aux chantiers de Saardam, le claque de Marlborough à la bataille de Ramilies, celui d’Olaüs, roi de Danemark, tué à Sticklestad, le bonnet de Gessler que refusa de saluer Guillaume Tell, la toque de William