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le franklin.

c’était une séparation — la première depuis leur mariage — et, si elle était assez forte pour retenir ses larmes, on peut dire que Jane pleurait pour elle. Quant à Len Burker, lui, cet homme dont jamais une émotion tendre n’avait adouci le regard, les yeux secs, les mains dans les poches, distrait de cette scène par on ne sait quelles pensées, il allait et venait. Évidemment, il n’était point en communauté d’idées avec les visiteurs que des sentiments d’affection avaient amenés sur ce navire en partance.

Le capitaine John prit les deux mains de sa femme, l’attira près de lui et d’une voix attendrie :

« Chère Dolly, dit-il, je vais partir… Mon absence ne sera pas longue… Dans quelques mois, tu me reverras… Je te retrouverai, ma Dolly… Sois sans crainte !… Sur mon navire, avec mon équipage, qu’aurions-nous à redouter des dangers de la mer ?… Sois forte comme doit l’être la femme d’un marin… Quand je reviendrai, notre petit Wat aura quinze mois… Ce sera déjà un grand garçon… Il parlera, et le premier mot que j’entendrai à mon retour…

— Ce sera ton nom, John !… répondit Dolly. Ton nom sera le premier mot que je lui apprendrai !… Nous causerons de toi tous les deux et toujours !… Mon John, écris-moi à chaque occasion !… Avec quelle impatience j’attendrai tes lettres !…

— Et dis-moi tout ce que tu auras fait, tout ce que tu comptes faire… Que je sente mon souvenir mêlé à toutes tes pensées…

— Oui, chère Dolly, je t’écrirai… Je te tiendrai au courant du voyage… Mes lettres, ce sera comme le journal du bord avec mes tendresses en plus !

— Ah ! John, je suis jalouse de cette mer qui t’emporte si loin !… Combien j’envie ceux qui s’aiment et que rien ne sépare dans la vie !… Mais non… J’ai tort de songer à cela…

— Chère femme, je t’en prie, dis-toi que c’est pour notre enfant que je pars… pour toi aussi… pour vous assurer à tous les deux l’aisance et le bonheur !… Si nos espérances de fortune viennent à se réaliser un jour, nous ne nous quitterons plus ! »