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Au-dessous de lui, dans l’ombre, passaient les eaux de l’Angara, qui mugissaient en se brisant aux arêtes des piliers.

Ivan Ogareff tira une amorce de sa poche, il l’enflamma, et il alluma un peu d’étoupe, imprégnée de pulvérin, qu’il lança dans le fleuve…

C’était par ordre d’Ivan Ogareff que des torrents d’huile minérale avaient été lancés à la surface de l’Angara !

Des sources de naphte étaient exploitées au-dessus d’Irkoutsk, sur la rive droite, entre la bourgade de Poshkavsk et la ville. Ivan Ogareff avait résolu d’employer ce moyen terrible de porter l’incendie dans Irkoutsk. Il s’empara donc des immenses réservoirs qui renfermaient le liquide combustible. Il suffisait de démolir un pan de mur pour en provoquer l’écoulement à grands flots.

C’est ce qui avait été fait dans cette nuit, quelques heures auparavant, et c’est pourquoi le radeau qui portait le vrai courrier du czar, Nadia et les fugitifs, flottait sur un courant d’huile minérale. À travers les brèches de ces réservoirs, contenant des millions de mètres cubes, le naphte s’était précipité comme un torrent, et, suivant les pentes naturelles du sol, il s’était répandu à la surface du fleuve, où sa densité le fit surnager.

Voilà comment Ivan Ogareff entendait la guerre ! Allié des Tartares, il agissait comme un Tartare, et contre ses propres compatriotes !

L’étoupe avait été lancée sur les eaux de l’Angara. En un instant, comme si le courant eût été fait d’alcool, tout le fleuve s’enflamma, en amont et en aval, avec une rapidité électrique. Des volutes de flammes bleuâtres couraient entre les deux rives. De grosses vapeurs fuligineuses se tordaient au-dessus. Les quelques glaçons qui s’en allaient en dérive, saisis par le liquide igné, fondaient comme de la cire à la surface d’une fournaise, et l’eau vaporisée s’échappait dans l’air en sifflets assourdissants.

À ce moment même, la fusillade éclata au nord et au sud de la ville. Les batteries du camp de l’Angara tirèrent à toute volée. Plusieurs milliers de Tartares se précipitèrent à l’assaut des terrassements. Les maisons des berges, construites en bois, prirent feu de toutes parts. Une immense clarté dissipa les ombres de la nuit.

« Enfin ! » dit Ivan Ogareff.

Et il pouvait s’applaudir à bon droit ! La diversion qu’il avait imaginée était terrible. Les défenseurs d’Irkoutsk se voyaient entre l’attaque des Tartares et les désastres de l’incendie. Les cloches sonnèrent, et tout ce qui était valide dans la population se porta aux points attaqués et aux maisons dévorées par le feu, qui menaçait de se communiquer à la ville entière.