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de lacs, de marais dont le soleil provoque les exhalaisons malsaines, qu’elle se développe, pour la plus grande fatigue et souvent pour le plus grand danger du voyageur.

En hiver, lorsque le froid a solidifié tout ce qui est liquide, lorsque la neige a nivelé le sol et condensé les miasmes, les traîneaux peuvent facilement et impunément glisser sur la croûte durcie de la Baraba. Les chasseurs fréquentent assidûment alors la giboyeuse contrée, à la poursuite des martres, des zibelines et de ces précieux renards dont la fourrure est si recherchée. Mais, pendant l’été, le marais redevient fangeux, pestilentiel, impraticable même, lorsque le niveau des eaux est trop élevé.

Michel Strogoff lança son cheval au milieu d’une prairie tourbeuse, que ne revêtait plus ce gazon demi-ras de la steppe, dont les immenses troupeaux sibériens se nourrissent exclusivement. Ce n’était plus la prairie sans limites, mais une sorte d’immense taillis de végétaux arborescents.

Le gazon s’élevait alors à cinq ou six pieds de hauteur. L’herbe avait fait place aux plantes marécageuses, auxquelles l’humidité, aidée de la chaleur estivale, donnait des proportions gigantesques. C’étaient principalement des joncs et des butomes, qui formaient un réseau inextricable, un impénétrable treillis, parsemé de mille fleurs, remarquables par la vivacité de leurs couleurs, entre lesquelles brillaient des lis et des iris, dont les parfums se mêlaient aux buées chaudes qui s’évaporaient du sol.

Michel Strogoff, galopant entre ces taillis de joncs, n’était plus visible des marais qui bordaient la route. Les grandes herbes montaient plus haut que lui, et son passage n’était marqué que par le vol d’innombrables oiseaux aquatiques, qui se levaient sur la lisière du chemin et s’éparpillaient par groupes criards dans les profondeurs du ciel.

Cependant, la route était nettement tracée. Ici, elle s’allongeait directement entre l’épais fourré des plantes marécageuses ; là, elle contournait les rives sinueuses de vastes étangs, dont quelques-uns, mesurant plusieurs verstes de longueur et de largeur, ont mérité le nom de lacs. En d’autres endroits, il n’avait pas été possible d’éviter les eaux stagnantes que le chemin traversait, non sur des ponts, mais sur des plates-formes branlantes, ballastées d’épaisses couches d’argile, et dont les madriers tremblaient comme une planche trop faible jetée au-dessus d’un abîme. Quelques-unes de ces plates-formes se prolongeaient sur un espace de deux à trois cents pieds, et plus d’une fois, les voyageurs, ou tout au moins les voyageuses des tarentass, y ont éprouvé un malaise analogue au mal de mer.