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C’était un des rares sujets de conversation sur lesquels il ne cherchait pas à discuter avec son compagnon. Cet honorable gentleman n’avait pas pour habitude de faire deux choses à la fois.

Et Alcide Jolivet lui ayant demandé, une fois, quel pouvait être l’âge de la jeune Livonienne :

« Quelle jeune Livonienne ? répondit-il le plus sérieusement du monde, en fermant à demi les yeux.

— Eh parbleu ! la sœur de Nicolas Korpanoff !

— C’est sa sœur ?

— Non, sa grand’mère ! répliqua Alcide Jolivet, démonté par tant d’indifférence. — Quel âge lui donnez-vous ?

— Si je l’avais vue naître, je le saurais ! » répondit simplement Harry Blount, en homme qui ne voulait pas s’engager.

Le pays alors parcouru par les deux tarentass était presque désert. Le temps était assez beau, le ciel couvert à demi, la température plus supportable. Avec des véhicules mieux suspendus, les voyageurs n’auraient pas eu à se plaindre du voyage. Ils allaient comme vont les berlines de poste en Russie, c’est-à-dire avec une vitesse merveilleuse.

Mais si le pays semblait abandonné, cet abandon tenait aux circonstances actuelles. Dans les champs, peu ou pas de ces paysans sibériens, à figure pâle et grave, qu’une célèbre voyageuse a justement comparés aux Castillans, moins la morgue. Çà et là, quelques villages déjà évacués, ce qui indiquait l’approche des troupes tartares. Les habitants, emmenant leurs troupeaux de moutons, leurs chameaux, leurs chevaux, s’étaient réfugiés dans les plaines du nord. Quelques tribus de la grande horde des Kirghis nomades, restées fidèles, avaient aussi transporté leurs tentes au delà de l’Irtyche ou de l’Obi, pour échapper aux déprédations des envahisseurs.

Fort heureusement, le service de la poste se faisait toujours régulièrement. De même, le service du télégraphe, jusqu’aux points que raccordait encore le fil. À chaque relais, les maîtres de poste fournissaient les chevaux dans les conditions réglementaires. À chaque station aussi, les employés, assis à leur guichet, transmettaient les dépêches qui leur étaient confiées, ne les retardant que pour les télégrammes de l’État. Aussi Harry Blount et Alcide Jolivet en usaient-ils largement.

Ainsi donc, jusqu’ici, le voyage de Michel Strogoff s’accomplissait dans des conditions satisfaisantes. Le courrier du czar n’avait éprouvé aucun retard, et, s’il parvenait à tourner la pointe faite en avant de Krasnoiarsk par les