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LES PRÉCURSEURS DU CAPITAINE COOK.

nous empêcha de voir, car, dans cette traversée, un grand nombre d’oiseaux de mer voltigèrent souvent autour du vaisseau. Le commodore Byron, dans son dernier voyage, avait dépassé les limites septentrionales de cette partie de l’Océan, dans laquelle on dit que les îles Salomon sont situées ; et, comme j’ai été moi-même au delà des limites sud sans les voir, j’ai de grandes raisons de conclure que, si ces îles existent, leur situation est mal déterminée dans toutes les cartes. »

Cette dernière supposition était exacte ; mais les îles Salomon existaient si bien, que Carteret allait, quelques jours plus tard, y atterrir sans les reconnaître.

Cependant, les vivres étaient presque entièrement consommés ou corrompus, les manœuvres et les voiles hachées par la tempête, les rechanges épuisées, la moitié de l’équipage clouée sur les cadres, lorsque survint, pour le capitaine, un nouveau sujet d’alarmes. Une voie d’eau fut signalée. Placée au-dessous de la ligne de flottaison, il était impossible de l’aveugler tant qu’on serait en pleine mer. Par une chance inespérée, le lendemain, la terre fut découverte. Dire de quels cris de joie, de quelles acclamations elle fut saluée, ce serait superflu. Le sentiment de surprise et de soulagement qu’éprouva l’équipage ne peut être comparé, suivant les expressions mêmes de Carteret, qu’à celui que ressent le criminel qui reçoit sur l’échafaud l’annonce de sa grâce. C’était l’île de Nitendit, déjà vue par Mendana.

À peine l’ancre avait-elle touché le fond, qu’une embarcation fut expédiée à la recherche d’une aiguade. Des indigènes, noirs, à la tête laineuse, entièrement nus, parurent sur le rivage et s’enfuirent avant que le canot pût accoster. Un beau courant d’eau douce au milieu d’une forêt impénétrable d’arbres et d’arbustes qui poussaient jusque dans la mer même, une contrée sauvage, hérissée de montagnes, voilà le tableau que fit du pays le patron de l’embarcation.

Le lendemain, le maître fut renvoyé à la recherche d’un lieu de débarquement plus facile, avec l’ordre de gagner par des cadeaux la bienveillance des naturels. Il lui était expressément recommandé de ne pas s’exposer, de regagner le bord si plusieurs pirogues se dirigeaient vers lui, de ne point quitter lui-même l’embarcation, et de ne laisser descendre à terre que deux hommes à la fois, tandis que les autres se tiendraient sur la défensive. De son côté, Carteret envoya son canot à terre pour faire de l’eau. Quelques naturels lui décochèrent des flèches, qui n’atteignirent heureusement personne. Pendant ce temps, la chaloupe regagnait le Swallow. Le maître avait trois flèches dans le corps, et la moitié de son équipage était si dangereusement blessée, que lui-même ainsi que trois matelots moururent quelques jours après.

Voici ce qui s’était passé. Débarqué, lui cinquième, dans un endroit où il avait