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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

imprévus, tempêtes et rafales de neige, courants incertains et rapides, grandes marées et brouillards, qui mirent plus d’une fois les deux navires à deux doigts de leur perte. Le Swallow, surtout, était dans un état de délabrement si fâcheux, que le capitaine Carteret pria Wallis de considérer que son navire ne pouvait plus être utile à l’expédition, et de lui prescrire ce qui serait le plus avantageux au bien public.

« Les ordres de l’Amirauté sont formels, répondit Wallis, vous devez vous y conformer et accompagner le Dauphin tant qu’il sera possible. Je sais que le Swallow est mauvais voilier, je prendrai donc son temps et suivrai ses mouvements, car il importe que, si l’un des deux bâtiments éprouve quelque accident, l’autre soit à portée de lui donner toute l’assistance en son pouvoir. »

Carteret n’avait rien à répondre ; il se tut, mais il augurait mal de la fin de l’expédition.

Lorsque les bâtiments s’approchèrent de l’ouverture du détroit sur le Pacifique, le temps devint détestable. Une brume épaisse, des rafales de neige et de pluie, des courants qui chassaient les navires sur des brisants, une mer démontée, tels furent les obstacles qui retinrent les navigateurs dans le détroit jusqu’au 10 avril. Ce jour-là, à la hauteur du cap Pilar, le Dauphin et le Swallow furent séparés et ne se retrouvèrent plus, Wallis ayant négligé de fixer un lieu de rendez-vous en cas de séparation.

Avant de suivre Wallis dans son voyage à travers le Pacifique, nous donnerons avec lui quelques détails sur les misérables habitants de la Terre de Feu et sur l’aspect général du pays. Aussi grossiers, aussi misérables que possible, ces naturels se nourrissaient de la chair crue des veaux marins et des pingouins.

« Un de nos gens, qui pêchait à la ligne, dit Wallis, donna à l’un de ces Américains un poisson vivant qu’il venait de prendre et qui était un peu plus gros qu’un hareng. L’Américain le prit avec l’avidité d’un chien à qui on donne un os. Il tua d’abord le poisson en lui donnant un coup de dents près des ouïes et se mit à le manger en commençant par la tête et en allant jusqu’à la queue, sans rejeter les arêtes, les nageoires, les écailles ni les boyaux. »

Au reste, ces indigènes avalaient tout ce qu’on leur donnait, que ce fût cru ou cuit, frais ou salé, mais ils ne voulurent jamais boire que de l’eau. Ils n’avaient pour se couvrir qu’une misérable peau de phoque, leur tombant jusqu’aux genoux. Leurs armes n’étaient que des javelines armées d’un os de poisson. Tous avaient les yeux malades, ce que les Anglais attribuèrent à leur habitude de vivre au milieu de la fumée pour se garantir des moustiques. Enfin, ils exha-