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LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIÈCLE.

ingénieurs géographes, et le bon commandant nous prêta la sienne pour y dresser notre observatoire. Nous jouissions d’une aussi entière liberté que si nous avions été à la campagne, et nous trouvions, au marché et dans l’arsenal, les mêmes ressources que dans un des meilleurs ports de l’Europe. »

Cavite, la seconde ville des Philippines, la capitale de la province de ce nom, n’était alors qu’un méchant village, où il ne restait d’autres Espagnols que des officiers militaires ou d’administration ; mais, si la ville n’offrait aux yeux qu’un monceau de ruines, il n’en était pas de même du port, où les frégates françaises trouvèrent toutes les ressources désirables. Dès le lendemain de son arrivée, La Pérouse, accompagné du commandant de Langle et de ses principaux officiers, alla faire visite au gouverneur et gagna Manille en canot.

« Les environs de Manille sont ravissants, dit-il ; la plus belle rivière y serpente et se divise en différents canaux, dont les deux principaux conduisent à cette fameuse lagune ou lac de Bay, qui est à sept lieues dans l’intérieur, bordé de plus de cent villages indiens, situés au milieu du territoire le plus fertile.

« Manille, bâtie sur le bord de la baie de son nom, qui a plus de vingt-cinq lieues de tour, est à l’embouchure d’une rivière navigable jusqu’au lac d’où elle prend sa source. C’est peut-être la ville de l’univers la plus heureusement située. Tous les comestibles s’y trouvent dans la plus grande abondance et au meilleur marché ; mais les habillements, les quincailleries d’Europe, les meubles s’y vendent à un prix excessif. Le défaut d’émulation, les prohibitions, les gênes de toute espèce mises sur le commerce, y rendent les productions et les marchandises de l’Inde et de la Chine au moins aussi chères qu’en Europe, et cette colonie, quoique différents impôts rapportent au fisc près de huit cent mille piastres, coûte encore, chaque année, à l’Espagne quinze cent mille livres, qui y sont envoyées du Mexique. Les immenses possessions des Espagnols en Amérique n’ont pas permis au gouvernement de s’occuper essentiellement des Philippines ; elles sont encore comme ces terres de grands seigneurs, qui restent en friche, et feraient cependant la fortune de plusieurs familles.

« Je ne craindrai pas d’avancer qu’une très grande nation, qui n’aurait pour colonie que les îles Philippines et qui y établirait le meilleur gouvernement qu’elles puissent comporter, pourrait voir sans envie tous les établissements européens de l’Afrique et de l’Amérique. »

Le 9 avril, après avoir appris l’arrivée à Macao de M. d’Entrecasteaux, qui était venu de l’île de France à contre-mousson, et avoir reçu, par la frégate la Subtile, des dépêches d’Europe et un renfort de huit matelots avec deux offi-