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LES NAVIGATEURS FRANÇAIS.

l’accuser d’avoir coulé sa conserve le Gros-Ventre, pour être seul à tirer bénéfice des découvertes qu’il avait faites de concert avec M. de Saint-Allouarn.

Cependant, toutes ces criailleries n’influencèrent pas le ministère, qui résolut de confier le commandement d’une seconde expédition à Kerguelen. Le vaisseau le Roland et la frégate l’Oiseau, cette dernière sous les ordres de M. de Saux de Rosnevet, quittèrent Brest le 20 mars 1772.

Lorsqu’il atteignit le Cap, Kerguelen fut obligé d’y faire une relâche de quarante jours. Tout l’équipage avait été atteint de fièvres putrides, ce qu’il fallait attribuer à l’humidité d’un bâtiment neuf.

« Cela paraît d’autant mieux fondé, dit la relation, que tous les légumes secs, comme pois, fèves, haricots et lentilles, se trouvaient gâtés dans les soutes, ainsi que le riz, et une partie du biscuit ; les légumes formaient dans la soute un fumier qui infectait, et il sortait de ces mêmes soutes une quantité de vers blancs »

Le 11 juillet, le Roland sortit du Cap ; mais il fut presque aussitôt assailli par une affreuse tempête, qui emporta deux huniers, la misaine, le petit foc et le mât d’artimon. Enfin, on gagna l’île de France avec des mâts de fortune.

M. Des Roches et Poivre, qui avaient tant contribué au succès de la première expédition, avaient été remplacés par M. de Ternay et l’intendant Maillard. Ces derniers semblèrent prendre à tâche d’apporter toutes les entraves imaginables à l’exécution des ordres qu’avait reçus Kerguelen. C’est ainsi qu’ils ne lui fournirent aucun secours en vivres frais, dont l’équipage avait cependant le plus pressant besoin, qu’ils ne trouvèrent pas moyen de remplacer ses mâts abattus par la tempête ; en outre, ils ne lui donnèrent, à la place de trente-quatre de ses matelots, qui avaient dû entrer à l’hôpital, que des soldats fouettés ou marqués, dont ils avaient le plus grand intérêt à se défaire. Une expédition aux terres australes préparée dans ces conditions ne pouvait qu’échouer. C’est ce qui ne manqua pas d’arriver !

Le 3 janvier, Kerguelen revit les terres qu’il avait découvertes à son premier voyage, et, jusqu’au 16, il en reconnut plusieurs points, l’île de Croy, l’île de Réunion, l’île Roland, qui, d’après son relevé, formaient plus de quatre-vingts lieues de côtes. La température était extrêmement rigoureuse : des brumes épaisses, de la neige, de la grêle, des coups de vent continuels. Le 21, on ne put marcher de conserve qu’à coups de canon. Ce jour-là, le froid fut si âpre, que plusieurs matelots tombèrent évanouis sur le pont....

« Les officiers, dit Kerguelen, déclarent que la ration ordinaire de biscuit n’est pas suffisante, et que, sans une augmentation, l’équipage ne pourra résister