Page:Verne - Les grands navigateurs du XVIIIe siècle, 1879.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
LES GRANDS NAVIGATEURS DU XVIIIe SIECLE.

vit alors dans la nécessité de faire sentir à ces malheureux la supériorité de ses armes et fit commencer le feu. Les Néo-Zélandais, voyant tomber leurs camarades morts ou blessés sans qu’ils parussent avoir été touchés, demeuraient stupides. Tous auraient été tués, si Crozet n’eût mis fin au massacre.

Les malades furent ramenés à bord sans accident, et le poste, renforcé et se tenant sur ses gardes, ne fut pas inquiété.

Le lendemain, les naturels, qui possédaient sur l’île Matuaro un village important, tentèrent d’empêcher les matelots de faire l’eau et le bois dont ils avaient besoin. Ceux-ci marchèrent alors contre eux la bayonnette au fusil et les poursuivirent jusqu’à leur village, où ils se renfermèrent. On entendait la voix des chefs qui les excitaient au combat. Le feu commença dès qu’on fut arrivé à portée de pistolet de la porte du village, et il fut si bien dirigé, que les chefs furent les premières victimes. Dès qu’ils les virent tomber, les naturels prirent la fuite. On en tua une cinquantaine, on culbuta le reste dans la mer, et le village fut brûlé.

Il ne fallait plus songer à amener sur la plage ces beaux mâts faits avec les cèdres qu’on avait eu tant de peine à abattre, et, pour refaire la mâture, on dut se contenter d’un assemblage de pièces de bois embarquées sur les vaisseaux. Quant à l’approvisionnement de sept cents barriques d’eau et de soixante-dix cordes de bois de chauffage indispensables pour le voyage, comme il ne restait plus qu’une chaloupe, il ne fallut pas moins d’un mois pour l’achever.

Cependant, on n’était pas exactement fixé sur le sort du capitaine Marion et des hommes qui l’accompagnaient. Un détachement bien armé se rendit donc au village de Tacouri.

Le village était abandonné. On n’y trouva que quelques vieillards qui n’avaient pu suivre leurs camarades fugitifs et qui étaient assis à la porte de leurs maisons. On voulut les capturer. Un d’eux alors, sans paraître beaucoup s’émouvoir, frappa un soldat avec un javelot qu’il tenait à la main. On le tua, mais on ne fit aucun mal aux autres, qu’on laissa dans le village. Toutes les maisons furent fouillées soigneusement. On trouva dans la cuisine de Tacouri le crâne d’un homme qui avait été cuit depuis peu de jours, où il restait encore quelques parties charnues, dans lesquelles se voyaient l’empreinte des dents des anthropophages. On y vit aussi un morceau de cuisse humaine, qui tenait à une broche de bois, et qui était aux trois quarts mangé.

Dans une autre maison, on trouva une chemise, qu’on reconnut avoir appartenu à l’infortuné Marion. Le col de cette chemise était tout ensanglanté, et l’on