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restaurés, toutefois. Les estomacs réclamaient leur dû, et dix heures de traversée, dans ces conditions, les rendaient impérieux.

« Déjeunons, dit Craig.

— Copieusement », ajouta Fry.

Kin-Fo fit un signe d’acquiescement, et Soun un claquement de mâchoires, auquel on ne pouvait se tromper. En ce moment, l’affamé ne songeait plus à être dévoré sur place. Au contraire.

Le sac imperméable fut donc ouvert. Fry en tira différents comestibles de bonne qualité, du pain, des conserves, quelques ustensiles de table, enfin tout ce qu’il fallait pour apaiser la faim et la soif. Sur les cent plats qui figurent au menu ordinaire d’un dîner chinois, il en manquait bien quatre-vingt-dix-huit, mais il y avait de quoi restaurer les quatre convives, et ce n’était certes pas le cas de se montrer difficile.

On déjeuna donc, et de bon appétit. Le sac contenait des provisions pour deux jours. Or, avant deux jours, ou l’on serait à terre, ou l’on n’y arriverait jamais.

« Mais nous avons bon espoir, dit Craig.

— Pourquoi avez-vous bon espoir ? demanda Kin-Fo, non sans quelque ironie.

— Parce que la chance nous revient, répondit Fry.

— Ah ! vous trouvez ?

— Sans doute, reprit Craig. Le suprême danger était la jonque, et nous avons pu lui échapper.

— Jamais, monsieur, depuis que nous avons l’honneur d’être attachés à votre personne, ajouta Fry, jamais vous n’avez été plus en sûreté qu’ici !

— Tous les Taï-ping du monde… dit Craig.

— Ne pourraient vous atteindre… dit Fry.

— Et vous flottez joliment… ajouta Craig.

— Pour un homme qui pèse deux cent mille dollars ! » ajouta Fry.

Kin-Fo ne put s’empêcher de sourire.

« Si je flotte, répondit Kin-Fo, c’est grâce à vous, messieurs ! Sans votre aide, je serais maintenant où est le pauvre capitaine Yin !

— Nous aussi ! répliquèrent Fry-Craig.

— Et moi donc ! s’écria Soun, en faisant passer, non sans quelque effort, un énorme morceau de pain de sa bouche dans son œsophage.

— N’importe, reprit Kin-Fo, je sais ce que je vous dois !

— Vous ne nous devez rien, répondit Fry, puisque vous êtes le client de la Centenaire