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les tribulations d’un chinois en chine

d’assez mauvaise humeur, en citant un dicton très à la mode dans l’Empire du Milieu.

— Sur terre, oui ! répondit le capitaine Yin. Sur mer, non ! »

Et sa bouche de se fendre jusqu’à ses oreilles.

« Il n’y a pas matière à rire, dit Kin-Fo.

— Ni à pleurer », répliqua le capitaine.

La vérité est que, si la situation n’avait rien d’alarmant, il était impossible au capitaine Yin de dire où se trouvait la Sam-Yep. Sa direction pendant la tempête tournante, comment l’eût-il relevée, sans boussole et sous l’action d’un vent dispersé sur les trois quarts du compas ? La jonque, ses voiles serrées échappant presque entièrement à l’influence du gouvernail, avait été le jouet de l’ouragan. Ce n’était donc pas sans raison que les réponses du capitaine avaient été si incertaines. Seulement, il aurait pu les produire avec moins de jovialité.

Cependant, tout compte fait, qu’elle eût été entraînée dans le golfe de Léao-Tong ou rejetée dans le golfe de Pé-Tché-Li, la Sam-Yep ne pouvait hésiter à mettre le cap au nord-ouest. La terre devait nécessairement se trouver dans cette direction. Question de distance, voilà tout.

Le capitaine Yin eût donc hissé ses voiles et marché dans le sens du soleil, qui brillait alors d’un vif éclat, si cette manœuvre eût été possible en ce moment.

Elle ne l’était pas.

En effet, calme plat après le typhon, pas un courant dans les couches atmosphériques, pas un souffle de vent. Une mer sans rides, à peine gonflée par les ondulations d’une large houle, simple balancement, auquel manque le mouvement de translation. La jonque s’élevait et s’abaissait sous une force régulière, qui ne la déplaçait pas. Une vapeur chaude pesait sur les eaux, et le ciel, si profondément troublé, pendant la nuit, semblait maintenant impropre à une lutte des éléments. C’était un de ces calmes « blancs », dont la durée échappe à toute appréciation.

« Très bien ! se dit Kin-Fo. Après la tempête, qui nous a entraînés au large, le défaut de vent qui nous empêche de revenir vers la terre ! »

Puis, s’adressant au capitaine : « Que peut durer ce calme ? demanda-t-il.

— Dans cette saison, monsieur ! Eh ! qui pourrait le savoir ? répondit le capitaine.