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les tribulations d’un chinois en chine

Quel assaut de politesses ! Ces notables personnages avaient été invités sur papier rouge, en quelques lignes de caractères microscopiques : « M. Kin-Fo, de Shang-Haï, salue humblement monsieur… et le prie plus humblement encore… d’assister à l’humble cérémonie… », etc.

Tous étaient venus pour honorer les époux, et prendre leur part du magnifique festin réservé aux hommes, tandis que les dames se réuniraient à une table spécialement servie pour elles.

Il y avait là le négociant Yin-Pang et le lettré Houal. Puis, c’étaient quelques mandarins qui portaient à leur chapeau officiel le globule rouge, gros comme un œuf de pigeon, indiquant qu’ils appartenaient aux trois premiers ordres. D’autres, de catégorie inférieure, n’avaient que des boutons bleu opaque ou blanc opaque. La plupart étaient des fonctionnaires civils, d’origine chinoise, ainsi que devaient être les amis d’un Shanghaïen hostile à la race tartare. Tous, en beaux habits, en robes éclatantes, coiffures de fêtes, formaient un éblouissant cortège.

Kin-Fo — ainsi le voulait la politesse — les attendait à l’entrée même de l’hôtel. Dès qu’ils furent arrivés, il les conduisit au salon de réception, après les avoir priés par deux fois de vouloir bien passer devant lui, à chacune des portes que leur ouvraient des domestiques en grande livrée. Il les appelait par leur « noble nom », il leur demandait des nouvelles de leur « noble santé », il s’informait de leurs « nobles familles ». Enfin, un minutieux observateur de la civilité puérile et honnête n’aurait pas eu à signaler la plus légère incorrection dans son attitude.

Craig et Fry admiraient ces politesses ; mais, tout en admirant, ils ne perdaient pas de vue leur irréprochable client.

Une même idée leur était venue, à tous les deux. Si, par impossible, Wang n’avait pas péri, comme on le croyait, dans les eaux du fleuve ?… S’il venait se mêler à ces groupes d’invités ?… La vingt-quatrième heure du vingt-cinquième jour de juin, — l’heure extrême, — n’avait pas sonné encore ! La main du Taï-ping n’était pas désarmée ! Si, au dernier moment… ?

Non ! cela n’était pas vraisemblable, mais enfin, c’était possible. Aussi, par un reste de prudence, Craig et Fry regardaient-ils soigneusement tout ce monde… En fin de compte, ils ne virent aucune figure suspecte.

Pendant ce temps, la future quittait sa maison de l’avenue de Cha-Coua, et prenait place dans un palanquin fermé.

Si Kin-Fo n’avait pas voulu prendre le costume de mandarin que tout fiancé