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les tribulations d’un chinois en chine

première, et lui disant que la septième lune ne s’achèverait pas sans que « son petit frère cadet » fût de retour près d’elle.

Si Lé-ou, depuis cette date, 17 mai, compta les jours et les heures, il est inutile d’y insister. Mais Kin-Fo n’avait plus donné de ses nouvelles, pendant ce voyage insensé, dont il ne voulait, sous aucun prétexte, indiquer le fantaisiste itinéraire. Lé-ou avait écrit à Shang-Haï. Ses lettres étaient restées sans réponse. On conçoit donc quelle devait être son inquiétude, lorsqu’à cette date du 19 juin, aucune lettre ne lui était encore arrivée.

Aussi, pendant ces longs jours, la jeune femme n’avait-elle pas quitté sa maison de l’avenue de Cha-Coua. Elle attendait, inquiète. La désagréable Nan n’était pas pour charmer sa solitude. Cette « vieille mère » se faisait plus quinteuse que jamais, et méritait d’être mise à la porte cent fois par lune.

Mais que d’interminables et anxieuses heures encore, avant le moment où Kin-Fo arriverait à Péking ! Lé-ou les comptait, et le compte lui en semblait bien long !

Si la religion de Lao-Tsé est la plus ancienne de la Chine, si la doctrine de Confucius, promulguée vers la même époque (500 ans environ avant J.-C.), est suivie par l’empereur, les lettrés et les hauts mandarins, c’est le bouddhisme ou religion de Fo qui compte le plus grand nombre de fidèles — près de trois cents millions — à la surface du globe.

Le bouddhisme comprend deux sectes distinctes, dont l’une a pour ministres les bonzes, vêtus de gris et coiffés de rouge, et, l’autre, les lamas, vêtus et coiffés de jaune.


Lé-ou était une bouddhiste de la première secte. Les bonzes la voyaient souvent venir au temple de Koan-Ti-Miao, consacré à la déesse Koanine. Là elle faisait des vœux pour son ami, et brûlait des bâtonnets parfumés, le front prosterné sur le parvis du temple.

Ce jour-là, elle eut la pensée de revenir implorer la déesse Koanine, et de lui adresser des vœux plus ardents encore. Un pressentiment lui disait que quelque grave danger menaçait celui qu’elle attendait avec une si légitime impatience.

Lé-ou appela donc « la vieille mère » et lui donna l’ordre d’aller chercher une chaise à porteurs au carrefour de la Grande-Avenue.

Nan haussa les épaules, suivant sa détestable habitude, et sortit pour exécuter l’ordre qu’elle avait reçu.

Pendant ce temps, la jeune veuve, seule dans son boudoir, regardait