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le Kaw-djer, la Wel-Kiej mit à la voile dans la matinée du 20 mars, et l’on procéda aussitôt à une installation sommaire. Il n’était pas question de fonder un établissement durable, mais seulement d’attendre le retour de la chaloupe, dont le voyage devait exiger environ trois semaines. Il n’y avait donc pas lieu d’utiliser les maisons démontables, et l’on se contenta de dresser les tentes trouvées dans la cale du navire. Augmentées des voiles de rechange dont regorgeait une soute spéciale, elles suffirent à abriter tout le monde, et même la partie fragile du matériel. On ne négligea pas non plus d’improviser des basses-cours avec quelques panneaux de grillages, ni d’établir des enclos à l’aide de cordes et de pieux, pour les bêtes à deux et à quatre pattes que transportait le Jonathan.

En somme, cette foule n’était pas dans la situation de naufrages jetés sans espoir, sans ressources sur une terre ignorée. La catastrophe avait eu lieu dans l’archipel fuégien, en un point exactement porté sur les cartes, à une centaine de lieues tout au plus de Punta-Arenas. D’autre part, les vivres abondaient. Les circonstances ne justifiaient, par conséquent, aucune inquiétude sérieuse, et, si ce n’est le climat un peu plus dur, les émigrants vivraient là, jusqu’au jour prochain du rapatriement, comme ils eussent vécu au début de leur séjour sur la terre africaine.

Il va sans dire que, pendant le déchargement, ni Halg ni le Kaw-djer n’étaient restés inactifs. Tous deux avaient bravement payé de leur personne. Du Kaw-djer notamment le concours avait été particulièrement utile. Quelle que fût sa modestie, quelque soin qu’il prît de passer inaperçu, sa supériorité était si évidente qu’elle s’imposait par la force des choses. Aussi ne se fit-on pas faute de recourir à ses conseils. S’agissait-il du transport d’un poids spécialement lourd, de l’arrimage des colis, du montage des tentes, on s’adressait à lui, et non seulement Hartlepool, mais encore la plupart de ces pauvres gens, peu habitués à de semblables travaux, qui formaient la grande masse des émigrants.

L’installation était fort avancée, sinon terminée, quand, le 24 mars, on eut un nouvel aperçu de la rigueur de ces parages. Durant trois fois vingt-quatre heures, la pluie ruissela en torrents, le vent souffla en tempête. Lorsque l’atmosphère reprit un peu de calme, on eût vainement cherché le Jonathan sur son