Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mitte ! Comment éviter les nombreux récifs dont la mer est semée dans ces parages ? Avec la voilure réduite à un bout de foc, comment assurer la direction dans ces profondes ténèbres ?…

Après une heure terrible, les dernières roches de l’île Horn furent dépassées et la mer recommença à battre en grand le navire.

Le maître d’équipage, aidé d’une douzaine de matelots, établit alors un tourmentin au mât de misaine. Il ne fallut pas moins d’une demi-heure pour y réussir. Au prix de mille peines, la voile fut enfin hissée à bloc, amurée et bordée à l’aide de palans, non sans que les hommes y eussent employé toute leur vigueur.

Assurément, pour un navire de ce tonnage, l’action de ce morceau de toile serait à peine sensible. Il la ressentit pourtant, et telle était la force du vent, que les sept ou huit milles séparant l’île Horn de l’île Hermitte furent enlevés en moins d’une heure.

Un peu avant onze heures, le Kaw-djer et Karroly commençaient à croire au succès de leur tentative, lorsqu’un effroyable fracas domina un instant les hurlements de la bourrasque.

Le mât de misaine venait de se rompre à une dizaine de pieds au-dessus du pont. Entraînant dans sa chute une partie du grand mât, il tomba en écrasant les bastingages de bâbord et disparut.

Cet accident fit plusieurs victimes, car des cris déchirants s’élevèrent. En même temps, le Jonathan embarqua une lame gigantesque et donna une telle bande qu’il menaça de chavirer.

Il se releva cependant, mais un torrent courut de bâbord à tribord, de l’arrière à l’avant, balayant tout sur son passage. Par bonheur, les agrès s’étaient rompus, et les débris de la mâture, emportés par la houle, ne menaçaient pas la coque.

Devenu désormais une épave inerte en dérive, le Jonathan ne sentait plus sa barre.

« Nous sommes perdus ! cria une voix.

— Et pas d’embarcations ! gémit une autre.

— Il y a la chaloupe du pilote ! » hurla un troisième.

La foule se rua vers l’arrière, où la Wel-Kiej suivait à la traîne.

« Halte ! » commanda le Kaw-djer d’une voix si impérieuse qu’il fut obéi sur-le-champ.

En quelques secondes, le maître d’équipage eut établi un