Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À la barre donc, ordonna le Kaw-djer, et laisse arriver en grand ! »

Karroly et lui revinrent en tout hâte à l’arrière et pesèrent sur la roue, pour faire abattre le bâtiment. Celui-ci, obéissant péniblement au gouvernail, vint avec lenteur sur bâbord.

« Brasse carré partout ! » commanda le Kaw-djer.

Tombé dans le lit du vent, le navire avait pris un peu d’erre. Peut-être réussirait-on à passer dans l’Ouest de l’île Horn.

Où allait ce navire ?… On le saurait plus tard. Quant à son nom et à celui de son port d’attache — Jonathan, San-Francisco — il fut possible de les lire sur la roue, à la lueur d’un falot.

Les violentes embardées rendaient très difficile la manœuvre du gouvernail, dont l’action était, d’ailleurs, peu efficace, le bâtiment n’ayant qu’une faible vitesse propre. Cependant, le Kaw-djer et Karroly essayaient de le maintenir dans la direction de la passe, en s’orientant sur les derniers éclats que, pour quelques minutes encore, continuait à jeter le feu allumé au sommet du cap Horn.

Mais, quelques minutes, il n’en fallait pas plus pour atteindre l’entrée du canal, qui se creusait, sur tribord, entre l’île Hermitte et l’île Horn. Que le bâtiment parvînt à parer les écueils émergeant dans la partie moyenne de ce canal, et il gagnerait peut-être un mouillage abrité du vent et de la mer. Là, on attendrait en sûreté jusqu’au lever du jour.

Tout d’abord, Karroly, aidé de quelques matelots dont le trouble était si grand qu’ils ne remarquèrent même pas que des ordres leur étaient donnés par un Indien, se hâta de couper les haubans et galhaubans de bâbord qui retenaient les deux mâts à la traîne. Leurs chocs violents contre la coque eussent fini par la défoncer. Les agrès tranchés à coups de hache, la mâture partit en dérive, et il n’y eut plus à s’en occuper. Quant à la Wel-Kiej, sa bosse la ramena vers l’arrière de manière à prévenir toute collision.

La fureur de la tempête s’accroissait. Les énormes paquets de mer qui embarquaient par-dessus les bastingages augmentaient l’affolement des passagers. Mieux aurait valu que tout ce monde se fût réfugié dans les roufs ou dans l’entrepont. Mais le moyen de se faire entendre et comprendre de ces malheureux ? Il n’y fallait pas songer.