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La Wel-Kiej arriva enfin par le travers du navire, au moment où il faisait une embardée sur bâbord, qui faillit la couler. Un heureux coup de barre lui permit de raser la coque le long de laquelle pendaient des agrès. L’Indien put adroitement saisir un bout d’aussière, qui fut, en un tour de main, amarrée à l’avant de la chaloupe.

Puis son fils et lui, le Kaw-djer ensuite enlevant dans ses bras le chien Zol, franchirent les bastingages et retombèrent sur le pont.

Non, le navire n’avait point été délaissé. Bien au contraire, une foule éperdue d’hommes, de femmes et d’enfants l’encombrait. Étendus pour la plupart contre les roufs, dans les coursives, on eût compté plusieurs centaines de malheureux au paroxysme de l’épouvante, et qui n’auraient pu rester debout, tant les coups de roulis étaient insoutenables.

Au milieu de l’obscurité, personne n’avait aperçu ces deux hommes et ce jeune garçon qui venaient de sauter à bord.

Le Kaw-djer se précipita vers l’arrière, espérant trouver l’homme de barre à son poste… La barre était abandonnée. Le navire, à sec de toile, allait où le poussaient la houle et le vent.

Le capitaine, les officiers, où étaient-ils donc ? Avaient-ils, lâchement, au mépris de tout devoir, déserté leur navire ?

Le Kaw-djer saisit un matelot par le bras.

« Ton commandant ? » interrogea-t-il en anglais.

Cet homme n’eut pas même l’air de s’apercevoir qu’il était interpellé par un étranger et se borna à hausser les épaules.

« Ton commandant ? reprit le Kaw-djer.

— Élingué par-dessus bord, et plus d’un autre avec », dit le matelot d’un ton d’étrange indifférence.

Ainsi le bâtiment n’avait plus de capitaine, et une partie de son équipage lui manquait.

« Le second ? » demanda le Kaw-djer.

Nouveau haussement d’épaules du matelot évidemment frappé de stupeur.

« Le second ?… répondit-il. Les deux jambes cassées, la tête broyée, affalé dans l’entrepont.

— Mais le lieutenant ?… le maître ?… où sont-ils ? »

D’un geste, le matelot fit entendre qu’il n’en savait rien.

« Enfin, qui commande à bord ? s’écria le Kaw-djer.

— Vous ! dit Karroly.