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dépouilles. Elles se liquéfiaient au dégel, et cette boue humaine se mêlait à celle de la terre. En trois semaines, les aventuriers, au nombre de près de dix-huit mille, furent refoulés dans la presqu’île Dumas dont le Kaw-djer occupa l’isthme.

À la milice s’étaient joints trois cents hommes fournis par la Franco-English Gold Mining Company, qui apportèrent un secours efficace aux défenseurs du bon ordre. Malgré ce renfort, la situation demeurait inquiétante. Si les prospecteurs avaient été déprimés tout d’abord par la nouvelle du carnage de leurs compagnons, et si on les avait ensuite aisément vaincus en détail, il pouvait ne plus en être ainsi, maintenant qu’ils se sentaient les coudes et qu’il leur était loisible de se concerter. Or, leur supériorité numérique était si grande qu’il y avait lieu de craindre un retour offensif de leur part.

L’intervention de la Société franco-anglaise para à ce danger. Désireux de s’assurer la main-d’œuvre qui leur était nécessaire, ses deux directeurs, Maurice Reynaud et Alexander Smith, proposèrent au Kaw-djer de procéder à une sélection parmi les aventuriers et de choisir, après sévère enquête, un millier d’hommes qui seraient autorisés à rester sur l’île Hoste. Ces hommes, la Gold Mining Company les emploierait sous sa responsabilité, étant bien entendu qu’ils seraient impitoyablement expulsés à la première incartade.

Le Kaw-djer accueillit favorablement ces ouvertures qui lui fournissaient un moyen de diviser les forces de l’adversaire. Sans hésiter, Maurice Reynaud et Alexander Smith, faisant ainsi preuve d’un courage assurément plus grand que celui du dompteur qui entre dans la cage de ses fauves, s’engagèrent alors sur la presqu’île Dumas, où pullulait la foule des prospecteurs révoltés. Huit jours plus tard, on les vit revenir à la tête de mille hommes triés soigneusement entre tous.

Cet exploit changea la face des choses. Les mille hommes que perdaient les insurgés, les Hosteliens les gagnaient, tout en conservant l’avantage de leur discipline et de leur armement supérieur. Le Kaw-djer franchit à son tour l’isthme dont il confia la garde à Hartlepool. Il rencontra dans la presqu’île moins de résistance qu’il ne le redoutait. Les mineurs n’avaient pas eu le temps encore de reprendre possession d’eux-mêmes. On réussit à les diviser, et chaque fraction fut successivement contrainte