Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instructions, était parti à la recherche de cet or que l’île Hoste rendait maintenant avec une si déplorable abondance.

L’effet produit sur les Hosteliens et sur les aventuriers par la divulgation du nom du Kaw-djer fut diamétralement opposé. Ni les uns ni les autres ne virent juste, d’ailleurs, et par tous le côté sublime de ce grand caractère fut également méconnu.

Les prospecteurs étrangers, vieux routiers qui avaient parcouru la Terre en tous sens et s’étaient trop frottés à tous les mondes pour être épatés, comme on dit, par les distinctions sociales, détestèrent plus encore celui qu’ils considéraient comme leur ennemi. Pas étonnant qu’il inventât des lois si dures aux pauvres gens. C’était un aristocrate. Cela expliquait tout à leurs yeux.

Les Hosteliens, au contraire, ne restèrent pas insensibles à la gloire d’être gouvernés par un chef de si haut lignage. Leur vanité en fut agréablement flattée, et l’autorité du Kaw-djer en bénéficia.

Celui-ci était revenu à Libéria désespéré, écœuré des abominations qu’il avait constatées, à ce point que, dans son entourage, on se prit à envisager l’éventualité d’un abandon de l’île Hoste. Toutefois, avant d’en arriver à cette extrémité, Harry Rhodes agita la question de recourir au Chili. Peut-être convenait-il de tenter cette suprême chance de salut.

« Le gouvernement chilien ne nous abandonnera pas, fit-il observer. Il est de son intérêt que la colonie retrouve sa tranquillité.

— Un appel à l’étranger ! s’écria le Kaw-djer.

— Il suffirait, reprit Harry Rhodes, qu’un des navires de Punta-Arenas vînt croiser en vue de l’île. Il n’en faudrait pas plus pour mettre ces misérables à la raison.

— Que Karroly parte pour Punta-Arenas, dit Hartlepool, et avant quinze jours…

— Non, interrompit le Kaw-djer d’un ton sans réplique. Dût la nation hostelienne périr, jamais une pareille démarche ne sera faite de mon consentement. Mais, d’ailleurs, tout n’est pas perdu encore. Avec du courage, nous nous sauverons, comme nous nous sommes faits, nous-mêmes ? »

Devant une volonté si nettement exprimée, il n’y avait qu’à s’incliner.