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arraché par eux à la terre en quantités parfois considérables leur avait été volé sans qu’on découvrit le coupable. Quand les victimes se trouvèrent réunies, la régulière concordance des vols et de la présence de Kennedy à proximité des endroits où ils avaient été commis, les frappa nécessairement, et des soupçons que n’étayait aucune preuve commencèrent à planer sur l’ancien matelot.

Celui-ci ne s’en préoccupait guère, et se contentait de l’admiration des gogos, dont la race est universelle. Ceux de Libéria se laissaient prendre à son verbiage, et son aplomb leur en imposait. Bien que tout le monde connût Kennedy pour ce qu’il valait, quelques-uns lui accordaient malgré tout une certaine considération, il recrutait une clientèle et devenait une manière de personnage.

Le Kaw-djer excédé se résolut à un acte d’autorité. Kennedy et ses pareils se riaient aussi par trop ouvertement des lois. Tant qu’il n’y avait pas eu moyen de faire autrement, on avait subi leur révolte. On devait la réprimer, du moment qu’on en possédait le pouvoir. Or, tous les colons, chassés par l’hiver, étaient de nouveau groupés, et la plupart, n’ayant pas eu à se louer de leur campagne de prospection, avaient été trop heureux de reprendre leurs fonctions régulières. La milice notamment était reconstituée, et les hommes qui la composaient semblaient, pour l’instant tout au moins, animés du meilleur esprit.

Un matin, sans que rien eût averti les intéressés du coup qui les menaçait, la police envahit le domicile de ceux des Libériens qui faisaient plus spécialement étalage de leurs richesses, et sous la direction d’Hartlepool, on y pratiqua des perquisitions en règle. De l’or qui fut trouvé en leur possession, on confisqua impitoyablement le quart, et, sur le surplus, on préleva encore les deux cents pesos ou piastres argentines auxquelles le Kaw-djer avait tarifé les concessions.

Kennedy ne se vantait pas à tort. C’est en effet chez lui que fut faite la moisson la plus abondante. La valeur de l’or qu’on y découvrit n’était pas inférieure à cent soixante-quinze mille francs en monnaie française. C’est aussi chez lui qu’on se heurta à la plus vive résistance. Pendant que l’on procédait à la visite de son domicile, on dut tenir en respect l’ancien matelot, qui écumait de rage et hurlait de furieuses imprécations.