Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on l’avait cru naïvement de prime abord. De là, pour certains colons, un découragement d’autant plus rapide que les illusions avaient été plus grandes.

D’autre part, le ralentissement des transactions commerciales et l’arrêt presque total des exploitations agricoles commençaient à produire leurs effets. Certes, on ne manquait encore de rien. Mais le prix de tous les objets de première nécessité avait énormément augmenté. Seuls pouvaient s’en rire ceux à qui la chasse à l’or avait été profitable. Ce renchérissement concourait, au contraire, à augmenter la misère des autres, pour qui la trouvaille de quelques pépites de valeur n’avait pas compensé la suppression des salaires habituels.

De là ces reculades, dont le nombre fut d’ailleurs restreint. Elles se limitèrent aux plus faibles et aux plus pauvres, et, en quelques jours, le mouvement s’arrêta.

Le Kaw-djer n’en éprouva pas de déception, parce qu’il ne s’était jamais illusionné sur son ampleur. Loin de considérer la crise comme près de s’apaiser, son regard clairvoyant découvrait de nouveaux dangers dans les ténèbres de l’avenir. Non, la crise n’était pas finie. Elle ne faisait que commencer, au contraire. Jusqu’ici, on n’avait eu à compter qu’avec les Hosteliens, mais il n’en serait pas toujours ainsi. De toutes les contrées du monde, la redoutable race des chercheurs d’or s’abattrait inévitablement sur la malheureuse île, dès que ceux-ci connaîtraient l’existence du nouveau champ ouvert à leur insatiable rapacité.

Ce fut le dix-sept janvier qu’en arriva au Bourg-Neuf le premier convoi. Ils débarquèrent d’un steamer au nombre de deux cents environ, deux cents hommes plus ou moins déguenillés, d’aspect solide, l’air résolu, brutal et farouche. Quelques-uns avaient de larges couteaux passés à la ceinture, mais de tous, sans exception, le pantalon, si minable qu’il fût, comportait une poche spéciale que gonflait la crosse d’un revolver. Ils portaient sur l’épaule un pic et un sac où étaient incluses leurs misérables nippes, et sur leur hanche gauche, une gourde, un plat et une écuelle s’entrechoquaient avec un bruit de ferraille.

Le Kaw-djer les regarda tristement débarquer. Ces deux cents aventuriers, c’était le premier tour de la chaîne dans laquelle l’île Hoste allait être garrottée.