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qui ne sont pas les siennes propres, et ensuite parce qu’il a une tendance naturelle à grossir de son mieux la fonction dont il est investi. Or, de quoi dépendrait l’ampleur d’une décision, si ce n’est de la durée des pourparlers qui l’ont précédée, de la masse de paperasses noircies à son sujet, de la sueur d’encre qu’elle a fait couler ? Le Kaw-djer, qui formait à lui seul le gouvernement hostelien, et qui, par conséquent, n’avait pas de bureaux, ne pouvait évidemment attribuer un pareil motif, le vrai cependant, à cette interminable discussion.

Toutefois, le phare de la presqu’île Hardy n’était pas l’unique feu qui éclairât ces mers. Au Bourg-Neuf, relevé de ses ruines et triplé d’importance, un feu de port s’allumait chaque soir et guidait les navires vers le musoir de la jetée.

Cette jetée, entièrement terminée, avait transformé la crique en un port vaste et sûr. À son abri, les bâtiments pouvaient charger ou décharger en eau tranquille leurs cargaisons sur le quai également achevé. Aussi le Bourg-Neuf était-il maintenant des plus fréquentés. Peu à peu, des relations commerciales s’étaient établies avec le Chili, l’Argentine, et jusqu’avec l’Ancien Continent. Un service mensuel régulier avait même été créé, reliant l’île Hoste à Valparaiso et à Buenos-Ayres.

Sur la rive droite du cours d’eau, Libéria s’était énormément développée. Elle était en passe de devenir une ville de réelle importance dans un avenir peu éloigné. Ses rues symétriques, se coupant à angle droit suivant la mode américaine, étaient bordées de nombreuses maisons en pierre ou en bois, avec cour par devant et jardinets en arrière. Quelques places étaient ombragées de beaux arbres, pour la plupart des hêtres antarctiques à feuilles persistantes. Libéria avait deux imprimeries et comptait même un petit nombre de monuments véritables. Entre autres, elle possédait une poste, une église, deux écoles et un tribunal moins modeste que la salle décorée de ce nom dont Lewis Dorick avait tenté jadis de provoquer la destruction. Mais, de tous ces monuments, le plus beau était le gouvernement. La maison improvisée qu’on désignait autrefois sous ce nom avait été abattue et remplacée par un édifice considérable, où continuait à résider le Kaw-djer et dans lequel tous les services publics étaient centralisés.

Non loin du gouvernement s’élevait une caserne, où plus de