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plainte reçue par Ferdinand Beauval en sa qualité de président du Tribunal. Puisqu’on avait une première fois démontré à l’Irlandais qu’il y avait une justice à l’île Hoste, il y recourait une seconde fois.

Bon gré, mal gré, on fut obligé de plaider ce singulier procès, que Patterson perdit, bien entendu. Sans montrer la colère que devait lui faire éprouver son échec, sourd aux brocards qu’on ne ménageait pas à une victime universellement détestée, il se retira, la sentence rendue, et retourna paisiblement à son poste de travailleur.

Mais un levain nouveau fermentait dans son âme. Jusqu’alors il avait vu la terre divisée en deux camps : lui d’un côté, le reste de l’humanité de l’autre. Le problème à résoudre consistait uniquement à faire passer le plus d’or possible du second camp dans le premier. Cela impliquait une lutte perpétuelle, cela n’impliquait pas la haine. La haine est une passion stérile ; ses intérêts ne se paient pas en monnaie ayant cours. Le véritable avare ne la connaît pas. Or, Patterson haïssait désormais. Il haïssait le Kaw-djer qui lui refusait justice ; il haïssait tout le peuple hostelien qui avait allégrement laissé périr le produit si durement acquis de tant de peines et tant d’efforts.

Sa haine, Patterson l’enferma en lui-même, et, dans cette âme, serre chaude favorable à la végétation des pires sentiments, elle devait prospérer et grandir. Pour le moment, il était impuissant contre ses ennemis. Mais les temps pouvaient changer… Il attendrait.

La plus grande partie de la belle saison fut employée à réparer les dommages causés par l’inondation. On procéda à la réfection des routes, au relèvement des fermes quand il y avait lieu. Dès le mois de février 1885, il ne restait plus trace de l’épreuve que la colonie venait de subir.

Pendant que ces travaux s’accomplissaient, le Kaw-djer sillonna l’île en tous sens selon sa coutume. Il pouvait maintenant multiplier ces excursions, qu’il faisait à cheval, une centaine de ces animaux ayant été importés. Au hasard de ses courses, il eut, à plusieurs reprises, l’occasion de s’informer de Sirdey. Les renseignements qu’il obtint furent des plus vagues. Rares étaient les émigrants qui pouvaient donner la moindre nouvelle du cuisinier du Jonathan. Quelques-uns seulement se rappelèrent