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également en grand danger. Ses yeux clos, son visage d’un rouge brique parcouru de frémissements nerveux, une respiration courte sifflant entre ses dents serrées, il brûlait d’une fièvre intense. Le Kaw-djer, en constatant ces divers symptômes, hocha la tête d’un air inquiet. En dépit de l’intégrité de ses membres et de son aspect moins impressionnant, l’état de Dick était en réalité beaucoup plus grave que celui de son sauveur.

Les deux enfants couchés, le Kaw-djer, malgré l’heure tardive, se rendit chez Harry Rhodes et le mit au courant des événements. Harry Rhodes fut bouleversé par ce récit et ne marchanda pas le concours des siens. Il fut convenu que Mme Rhodes et Clary, Tullia Ceroni et Graziella, veilleraient à tour de rôle au chevet des deux enfants, les jeunes filles pendant le jour, et leurs mères pendant la nuit. Mme Rhodes prit la garde la première. Habillée en un instant, elle partit avec le Kaw-djer.

Alors seulement celui-ci, ayant paré de cette manière au plus pressé, alla chercher un repos qu’il ne devait pas réussir à trouver. Trop d’émotions agitaient son cœur, un trop grave problème était posé devant sa conscience.

Des cinq assassins, trois étaient morts, mais deux subsistaient. Il fallait prendre un parti à leur sujet. Si l’un, Sirdey, avait disparu et errait à travers l’île, où on ne tarderait pas sans doute à le reprendre, l’autre, Kennedy, attendait, solidement verrouillé dans la prison, que l’on statuât sur son sort.

Le bilan de l’affaire se soldant par trois hommes tués, un autre en fuite et deux enfants en péril de mort, il ne pouvait, cette fois, être question de l’étouffer. Pour que l’on pût espérer la tenir secrète, trop de personnes, d’ailleurs, étaient dans la confidence. Il fallait donc agir. Dans quel sens ?

Certes les moyens d’action adoptés par les gens qu’il venait de combattre n’avaient rien de commun avec ceux que le Kaw-djer était enclin à employer, mais, au fond, le principe était le même. Il se réduisait en somme à ceci, que ces gens, comme lui-même, répugnaient à la contrainte et n’avaient pu s’y résigner. La différence des tempéraments avait fait le reste. Ils avaient voulu abattre la tyrannie, tandis qu’il s’était contenté de la fuir. Mais, au demeurant, leur besoin de liberté, quelque opposé qu’il fût dans ses manifestations, était pareil dans son essence, et ces