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soupçonner que leur camarade fût enseveli sous cet amas de décombres.

Fort troublés par cet indéchiffrable mystère, ils regagnèrent en silence la première grotte. Une désagréable surprise les y attendait. Au moment même où ils y mettaient le pied, deux formes humaines, celles d’un homme et d’un enfant, apparurent tout à coup sur le seuil.

Le feu brillait joyeusement, et sa flamme claire dissipait les ténèbres. Les misérables reconnurent l’homme et reconnurent l’enfant.

« Dick !… firent-ils tous trois, stupéfaits de voir revenir de ce côté le mousse que, moins d’une demi-heure plus tôt, on avait enfermé et si solidement garotté.

— Le Kaw-djer !… grondèrent-ils ensuite, avec un mélange de colère et d’effroi.

Un instant ils hésitèrent, puis la rage fut la plus forte, et, d’un même mouvement, William Moore et Kennedy se ruèrent en avant.

Immobile sur le seuil, sa haute silhouette vivement éclairée par la flamme, le Kaw-djer attendit ses adversaires de pied ferme. Ceux-ci avaient tiré leurs couteaux. Il ne leur laissa pas le temps de s’en servir. Saisis à la gorge par des mains de fer, le crâne de l’un heurta rudement la tête de l’autre. Ensemble, ils tombèrent, assommés.

Kennedy avait son compte, comme on dit. Il demeura étendu, inerte, tandis que William Moore se relevait en chancelant.

Sans s’occuper de lui, le Kaw-djer fit un premier pas vers Dorick…

Celui-ci, affolé par la foudroyante rapidité de ces événements, avait assisté à la bataille sans y prendre part. Il était resté en arrière, tenant à la main sa bombe d’où pendaient quelques centimètres de mèche. Paralysé par la surprise, il n’avait pas eu le temps d’intervenir, et le résultat de la lutte lui montrait maintenant de quelle inutilité serait une plus longue résistance. Au mouvement que fit le Kaw-djer, il comprit que tout était perdu…

Alors, une folie le saisit… Une vague de sang monta à son cerveau : selon l’énergique expression populaire, il vit rouge… Une fois au moins dans sa vie, il vaincrait… Dût-il périr, l’autre périrait !…