Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— À quoi ? demanda Sand.

— Au lion, décida Dick, qui, sans hésiter, se distribua le beau rôle. Tu seras un voyageur. Moi, je suis un lion. Tu vas sortir. Alors, tu entreras dans la grotte pour te reposer, et je sauterai sur toi pour te manger. Alors, tu crieras : « Au secours !… » Alors, je m’en irai et je reviendrai en courant. Je serai un chasseur et je tuerai le lion.

— Puisque c’est toi, le lion ! objecta Sand non sans une certaine logique.

— Non, je serai un chasseur.

— Alors, qui est-ce qui me mangera ?

— Bête !… c’est moi, quand je serai le lion. »

Sand se plongea en de profondes réflexions, en regardant son camarade d’un air rêveur. Celui-ci interrompit sa recherche.

— Tu n’as pas besoin de comprendre, dit-il. Va-t’en. Après, tu reviendras. Le lion te guettera dans les rochers… Tu as le temps… Une demi-heure au moins… C’est moi, le lion, tu sais… Alors, je suis à l’affût… Un lion, ça n’y reste pas deux minutes à l’affût… Monte par la galerie jusqu’à la grotte d’en haut, et reviens par dehors… Mais tu ne te méfies pas, tu comprends, tu ne te doutes de rien… C’est seulement quand tu entendras le rugissement du lion… »

Et Dick poussa un rugissement terrifiant.

Sand était déjà parti. Il remontait la galerie et tout à l’heure il redescendrait docilement pour se faire dévorer par le lion.

Pendant que son camarade s’éloignait, Dick s’était tapi entre les rochers. Il avait une demi-heure à attendre, mais cela ne lui semblait pas long. Il était le lion. Or, ainsi qu’il l’avait fait observer précieusement, un lion doit savoir garder l’affût avec patience. Pour rien au monde il n’eût montré le bout de sa frimousse, et consciencieusement il poussait de temps à autre, bien qu’il fût tout seul, de petits rugissements, préludes du grand, du terrible, qui éclaterait quand le lion dévorerait le malheureux voyageur.

Il fut interrompu dans ces exercices préparatoires. Plusieurs personnes gravissaient la pente de la montagne. Dick, absolument convaincu qu’il était un lion véritable, n’eut garde de se montrer, mais sa transformation en roi du désert ne l’empêcha pas de reconnaître au passage Lewis Dorick, les frères Moore,