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l’enclos de Patterson, mais elle ne lui avait pas semblé, les jours précédents, s’avancer aussi loin.

Il fut bientôt renseigné.

Patterson, qui, dès le printemps précédent, s’était adonné à la culture maraîchère, avait vu, cette année, ses efforts couronnés de succès. Travailleur infatigable, il avait obtenu une abondante récolte, et, depuis le renversement de Beauval, les autres habitants de Libéria s’approvisionnaient couramment chez lui de légumes frais.

Son succès était dû, pour une grande part, à l’emplacement qu’il avait choisi. Au bord même de la rivière, il y trouvait de l’eau en abondance. C’est précisément cette situation privilégiée qui était cause du conflit actuel.

Les cultures de Patterson, étendues sur un espace de deux ou trois cents mètres, commandaient le seul point où la rivière fût accessible, dans le voisinage immédiat de Libéria. En aval, elle était bordée, sur la rive droite, par une plaine marécageuse qui en interdisait l’approche jusqu’au ponceau établi près de l’embouchure, c’est-à-dire à plus de quinze cents mètres dans l’Ouest. En amont, la berge brusquement relevée tombait, pendant plus d’un mille, à pic dans le courant.

Les ménagères de Libéria étaient donc dans l’obligation de traverser l’enclos de Patterson pour aller puiser l’eau nécessaire aux besoins de leurs ménages, et c’est pourquoi, jusqu’alors, le propriétaire de cet enclos avait ménagé un hiatus dans la barrière qui le délimitait. Mais, à la fin, il s’était avisé que ce passage incessant à travers sa propriété était attentatoire à ses droits et causait de multiples dommages. La nuit précédente, il avait donc, avec l’aide de Long, barré solidement l’ouverture, d’où grave déception et grande colère des ménagères venues de bon matin chercher de l’eau.

Le calme se rétablit quand on aperçut le Kaw-djer, et l’on s’en rapporta à sa justice.

Patiemment, il écouta les arguments pour et contre, puis il rendit sa sentence. À la surprise générale, elle fut favorable à Patterson. À la vérité, le Kaw-djer décida que la clôture devait être abattue sur-le-champ et qu’une voie de vingt mètres de large devait être rendue à la circulation publique, mais il reconnut les droits de l’occupant à une indemnité pour la parcelle de terrain cultivé dont il était privé dans l’intérêt public.