Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Kaw-djer. Celle de Karroly était donc toujours debout, et l’Indien eut la joie d’y trouver Halg presque entièrement guéri.

Ce lui fut, par contre, un grand chagrin d’y rentrer sans le Kaw-djer, dont la nouvelle existence le séparait à jamais. Finie, cette vie commune de tant d’années !… Comme il était changé !… En revoyant son fidèle Indien, à peine avait-il esquissé un sourire, à peine avait-il consenti à interrompre quelques minutes sa dévorante activité.

Ce jour-là, comme tous les autres jours, le Kaw-djer, après une matinée consacrée aux divers travaux en cours, examina la situation de la colonie, tant au point de vue financier qu’au point de vue de l’état du stock des vivres, puis il retourna sur le chantier de la route.

C’était l’heure du repos. Pics et pioches abandonnés, la plupart des terrassiers sommeillaient sur les bas côtés, en offrant au soleil leurs poitrines velues ; d’autres mâchaient lentement leur ration en échangeant des mots vides et rares. À mesure que le Kaw-djer passait, les gens étendus se redressaient, les causeurs s’interrompaient, et tous soulevaient leurs casquettes, en accompagnant le geste d’une parole de bon accueil.

« Salut, gouverneur ! » disaient l’un après l’autre ces hommes rudes.

Sans s’arrêter, le Kaw-djer répondait de la main.

Il avait déjà parcouru la moitié du chemin, quand il aperçut, non loin de la rivière, un groupe d’une centaine d’émigrants, parmi lesquels on distinguait quelques femmes. Il pressa le pas. Bientôt, partis de ce groupe, les sons d’un violon vinrent frapper son oreille.

Un violon ?… C’était la première fois qu’un violon chantait sur l’île Hoste depuis la mort de Fritz Gross.

Il se mêla à l’attroupement, dont les rangs s’ouvrirent devant lui. Au centre, il y avait deux enfants. C’était l’un d’eux qui jouait, assez gauchement d’ailleurs. L’autre, pendant ce temps, disposait sur le sol des corbeilles de joncs tressés et des bouquets de fleurs des champs : séneçons, bruyères et branches de houx.

Dick et Sand… Le Kaw-djer, dans cette tourmente qui avait bouleversé sa vie, les avait oubliés. Au reste, pourquoi eût-il songé à ceux-ci plutôt qu’aux autres enfants de la colonie ? Eux