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ment écharpé. Par bonheur, il fut impossible de le découvrir. Beauval avait disparu. En voyant de quelle manière tournaient les choses, il avait déguerpi à temps, et, en ce moment, il fuyait à toutes jambes dans la direction du Bourg-Neuf.

L’inutilité de leurs recherches porta au paroxysme la rage des vainqueurs. Il est de l’essence même de la foule de perdre toute mesure dans le bien comme dans le mal. À défaut d’autre victime, on s’en prit aux choses. La demeure de Beauval fut pillée de fond en comble. Son misérable mobilier, ses papiers, ses objets personnels, tout fut jeté pêle-mêle par les fenêtres, et amoncelé en un tas auquel on mit le feu. Quelques instants plus tard, — fut-ce par inadvertance ? fut-ce par la volonté de l’un des émeutiers ? — le Palais lui-même flambait à son tour.

Chassés par la fumée, les envahisseurs se précipitèrent au dehors. Alors, ils n’étaient plus des hommes. Ivres de cris, de saccage et de meurtre, ils n’avaient plus de pensée ni de but. Rien qu’un irrésistible besoin de frapper, d’assommer, de détruire et de tuer.

Sur le terre-plein stationnait, comme au spectacle, la foule des enfants, des femmes et des indifférents, éternels badauds à qui on ne cesse de rendre les coups qu’ils n’ont pas donnés. Ils formaient, en somme, le gros de la population, mais, en dépit de leur nombre, ils étaient trop pacifiques pour être redoutables. La bande de Lewis Dorick, maintenant grossie de ses anciens adversaires qui jugeaient opportun de se ranger du côté du plus fort, se rua sur cette multitude inoffensive, cognant des pieds et des poings.

Ce fut une fuite éperdue. Hommes, femmes et enfants se répandirent dans la plaine, poursuivis par ces énergumènes qui eussent été bien embarrassés de donner la raison de leur sauvage fureur.

Du haut de la berge qu’il venait de gravir avec Harry Rhodes, le Kaw-djer, en regardant du côté du campement, n’aperçut qu’un nuage de fumée, dont les lourdes volutes allaient rouler jusqu’à la mer. Les maisons disparaissaient dans ce nuage, d’où s’élevaient des cris confus : appels, jurons, exclamations de douleur et d’angoisse. Un seul être vivant, un homme, se montrait dans la plaine, au-delà de la rivière. Il courait de toutes ses forces, bien que personne ne fût à sa poursuite. Sans ralentir